2.8.16

Puzzle pour fous


  Retour à Puzzle, roman en 64 chapitres débutant chacun par une pièce de puzzle.
  Le précédent billet m'avait amené à aborder un nouveau type d'erreur éditoriale, avec un puzzle parfait dans l'édition originale, en septembre 2013 au Fleuve Noir; dans l'édition Pocket (mon exemplaire est de mars 2015), le chapitre 61 reprend la pièce déjà donnée chapitre 40.

  Voici les en-têtes du chapitre 61, Fleuve Noir à gauche, Pocket à droite:
  En conséquence la résolution du puzzle à partir de l'exemplaire Pocket ne peut être achevée. Il resterait un trou auquel ne s'adapte pas la pièce résiduelle.
  Ceci rappelle au lecteur de Perec la fin de La Vie mode d'emploi (VME), où le personnage Bartlebooth qui a consacré sa vie aux puzzles meurt en tenant à la main une dernière pièce, en forme de W, ne pouvant s'insérer dans le trou en X du puzzle qu'il espérait avoir achevé. Le livre lui-même est un puzzle, composé de 100 "pièces" qui sont les pièces (et autres lieux) d'un immeuble parisien divisé en 10 niveaux de 10 cases, et Perec en a supprimé un chapitre correspondant au coin inférieur gauche, une cave.
  Chacun des chapitres décrit ce qui se passe dans la pièce correspondante ce 23 juin 1975 qui est le dernier jour de la vie de Bartlebooth, mais ce ne devient clair que dans le dernier chapitre, où un nouveau tour de l'immeuble est effectué avant de revenir au bureau de Bartlebooth, correspondant à la pièce 61 de l'immeuble, ou 6-1 selon le repérage étage-pièce établi par Perec, signifié dans chaque chapitre par un nombre de deux chiffres. Ici ce sont les 61 boîtes contenant les puzzles qui restent à résoudre, marquant l'échec de l'entreprise gigantesque et dérisoire que le millionnaire s'était fixée.

  Alors la pièce manquante du puzzle, le nombre 61, le dernier jour, tout ceci constituerait un faisceau d'indices en faveur de l'influence de Perec sur Thilliez, à la condition que c'eût été dans l'édition originale, mais ce n'est pas le cas, et le seul indice y était alors le puzzle.
  Je n'imagine guère que Thilliez ait conçu un stratagème en deux temps sur deux éditions, et pense plutôt à un pataquès quelconque lors du passage en Pocket, où il a fallu reformater la maquette, mais l'erreur est remarquablement bien tombée, grâce à un texte qui associait déjà le "dernier jour" au chapitre 61.
  Ces questions peuvent trouver réponse. En attendant, j'ai relu le roman que j'avais lu sans trop d'attention à première lecture.

  Le roman débute par une citation de Proust, selon une mise en page particulière (c'est moi qui accentue le mot ruine):
Mais, quand d'un passé ancien rien ne subsiste,
après la mort des êtres, après la destruction des choses,
seules, plus frêles mais plus vivaces, plus immatérielles,
plus persistantes, plus fidèles,
l'odeur et la saveur restent encore longtemps,
comme des âmes, à se rappeler, à attendre, à espérer,
sur la ruine de tout le reste, à porter sans fléchir,
sur leur gouttelette presque impalpable,
l'édifice immense du souvenir.
  Thilliez n'avait nullement besoin d'être un lecteur assidu de La Recherche pour trouver cette citation bateau, extraite du fameux épisode de la madeleine (Du côté de chez Swann).
  Le lecteur familier des contraintes de La Vie mode d'emploi frémit, car le puzzle où Bartlebooth ne parvient pas à caser sa dernière pièce est une marine représentant un port de Turquie, l'essentiel de la description étant consacré à une ville en ruines à l'arrière-plan, s'achevant par une impli-citation (non revendiquée) de Proust. La description est presque entièrement donnée par Bernard Magné, la citation de Proust (Albertine disparue) démarrant de ces palais, jusqu'à la fin.
  Ainsi le roman de Thilliez, qui dans sa version Pocket offre un puzzle où il manque une pièce, débute par une citation de Proust (unique citation du roman) où figure le mot ruine, tandis que la description du puzzle de Bartlebooth, dont la dernière pièce est impossible à caser, évoque une cité en ruines, et s'achève par une citation cachée de Proust (qui est en principe la dernière des 200 citations littéraires programmées dans VME).
  Bizarre, bizarre, mais je connais des coïncidences encore plus ahurissantes.

  Mon billet Méandres signalait l'énigme que constituait la localisation du 439e puzzle de Bartlebooth parmi ses pérégrinations diverses.

  J'en viens au roman lui-même, en révélant ses ficelles sans trop de scrupules car Thillliez lui-même ne semble pas en avoir pour emprunter des éléments sans révéler ses sources. Je citais notamment dans le précédent billet Le syndrome [E] qui semble devoir beaucoup à l'admirable Conspiration des ténèbres de Theodore Roszak.
  Ici nous avons quelque chose du genre Shutter Island ou Dream House, ou plus anciennement Identity et Dédales, dont j'ai commenté ici les étranges parallélismes. Le lecteur ou spectateur y suit une inquiétante histoire jusqu'à une révélation finale : il s'agissait d'un fantasme créé par un esprit malade incapable d'affronter une réalité criminelle où il était impliqué.
  Thilliez donne de forts indices dans ses deux premiers chapitres, l'un consacré à la découverte de 8 morts le 22 décembre dans un refuge des Alpes. Un individu était là aussi, Lucas Chardon, couvert de sang, incapable d'expliquer ce qui s'était passé, ne se souvenant de rien. Les morts étaient 3 femmes et 5 hommes, tués de 87 coups de tournevis, concurrents d'une chasse au trésor du genre L'étoile d'argent, en laquelle il est aisé de reconnaître La chouette d'or, une chasse ouverte en 1993 et qui n'a toujours pas été résolue à ce jour, la mort de son créateur Max Valentin rendant hypothétique l'attribution du trophée à un éventuel découvreur.
  Le roman de Thilliez a été publié en 2013, 20e anniversaire de cette Chouette.
  Incidemment, j'ai reçu il y a une dizaine d'années un mèl de quelqu'un qui, au vu de mes publications en ligne, m'avait identifié à Max Valentin...

  Le premier chapitre de Puzzle montre le tueur présumé, Lucas Chardon, reprendre conscience après un long coma, et déclarer ne vouloir parler qu'à sa psychiatre, Sandy Cléor, qu'il prévient que son témoignage va être long.
  Puis vient le récit principal, entrecoupé de quelques intermèdes Chardon-Cléor. Ce récit suit Ilan Dedisset, jeune homme ayant quelques troubles de mémoire, qui entraîné par son ex Chloé Sanders se lance dans la course au trésor Paranoïa, un must paraît-il. Les organisateurs sélectionnent 8 participants, parmi lesquels Ilan et Chloé, et les emmènent dans une grande bâtisse des Alpes, Swanessong, ancien hôpital psychiatrique, d'une vétusté proche de la ruine. Sandy Cléor donne à Lucas le sens de swan's song, "le chant du cygne" (on songe aussi au Swann de Proust).
  Non loin de Swanessong, la voiture emmenant Ilan et Chloé est arrêtée par des policiers qui ont besoin d'aide. Ils transféraient le détenu cagoulé Lucas Chardon, coupable de 8 meurtres l'hiver précédent, mais leur voiture est tombée en panne. On arrive à l'arrangement que la voiture reviendra aussitôt ses passagers rendus à bon port.

  Une fois sur place, les 8 concurrents se trouvent livrés à eux-mêmes, et à un mystérieux assassin qui les élimine l'un après l'autre. Ilan pense qu'il s'agit de Chardon qui aurait échappé à ses gardiens.
  Bien entendu un lecteur un peu attentif sait que Chardon a tué les participants à une chasse au trésor, et qu'il n'y a qu'une histoire, ou plutôt que le récit d'Ilan est fantasmatique, Ilan ne pouvant être que Lucas Chardon. La ressemblance entre Chloé Sanders et Sandy Cléor est un autre indice.
  Les témoignages en ligne montrent que les lecteurs parvenus à ce stade ont espéré un dénouement bluffant, innocentant Lucas/Ilan, mais lorsque chapitre 63 Ilan demeure le seul survivant des 8, et prend le tournevis meurtrier pour se protéger du tueur cagoulé, celui-ci lève le masque, et Ilan découvre son propre visage, ce qu'indique aussi la résolution du puzzle:
  Le visage du détenu 7643 est complété par la pièce introduisant le chapitre 64, où reprend le dialogue entre Sandy Cléor et Lucas Chardon. Il est maintenant clair que tout le récit d'Ilan est un fantasme que Lucas a créé pour se conduire à affronter sa culpabilité, mais ceci n'explique en rien comment Lucas en est venu à approcher le groupe des 8 joueurs et à les tuer. Par ailleurs le récit montre Ilan soupçonner que le jeu Paranoïa est un leurre, son seul but étant de percer le secret du père d'Ilan, neurobiologiste qui aurait fait une découverte essentielle dans le domaine de la mémoire, mais n'en ayant laissé aucune trace à sa mort deux ans plus tôt, sinon un mystérieux dessin représentant un paysage de montagne avec un arc-en-ciel de 5 couleurs, et deux étranges formules:
Ici-bas c'est le Chaos mais au sommet, tu trouveras l'équilibre. Là sont toutes les réponses.

et  :

H 470
H 485
H 490
H 580
H 600




  Ilan juge que le C majuscule de Chaos est important, et je ne peux m'empêcher de penser à une étude mise en ligne il y a plus de 10 ans, Le secret de La Vie, père C ?
  La clé des nombres est qu'ils représentent des couleurs, par leurs longueurs d'onde en nanomètres, correspondant à Bleu-Azur-Cyan-Jaune-Orange, dont les initiales réordonnées donnent JACOB.
  Les H orienteraient vers l'Echelle de Jacob, que le patriarche biblique (en hébreu le même mot est utilisé pour "père" et "patriarche") a vue en songe, mais ce qu'en tire Ilan est loin de satisfaire le lecteur, à mon sens. Je mentionnais dans un volet de mon Père C la figure emblématique des Bienenfeld, la famille adoptive de Perec, le "grand Jacques", né Jacob Bienenfeld en 1875 en Autriche. Ce Jacob a fait fortune dans la joaillerie, au point d'acquérir peu à peu un immeuble entier rue Lafayette,  mais son entreprise a périclité après le krach de 1929, et ses héritiers ont dû revendre peu à peu les étages de l'immeuble. Ceci ressemble fort à l'histoire de la famille Gratiolet dans VME, dont le père Juste a acquis la totalité de l'immeuble de la rue Simon-Crubellier, lotie en 1875, avant que des revers de fortune le contraignent à céder des appartements.
  Perec a hérité de Jacques Bienenfeld son bureau, originellement une table recouverte de drap noir utilisée pour le tri des perles. La description de la table sur laquelle Percival Bartlebooth résout ses puzzles correspond très exactement à ce meuble.

  Lucas a créé le nom de son double imaginaire, Ilan Dedisset, à partir d'une marque dans un coin du drap du lit sur lequel il était attaché, II AN 2-10-7, deux-dix-sept... Pour une raison peu claire, il a déchiré ce coin et l'a caché dans un barreau du lit.
  L'exégète de Perec pense encore au coin perdu de l'immeuble de VME, correspondant au coin du petit-beurre Lu grignoté par une petite fille...
...ou par Lu-cas, qui est plutôt calu (dingue) comme on dit par chez nous.
  Chapitre 52, Lucas confie à sa psy qu'il adore les puzzles:
Ils ont tous une particularité : quelle que soit leur taille, ils deviennent complètement inutiles, moches, loupés, s'il vous manque la toute dernière pièce. Celle qui sublime l'ensemble. Qui marque l'aboutissement ultime du temps qu'on y a consacré.

  Chez Perec, l'immeuble est un damier de 10x10, donnant lieu à de multiples surdéterminations par les nombres 10 et 100. Il semble y avoir des intentions du même ordre chez Thilliez, avec bien sûr les 8 tués, mais aussi les H de l'échelle, le partage de Swanessong en deux ailes de chacune 4 niveaux. Les 8 concurrents de Paranoïa (en 8 lettres) sont tous logés au premier niveau de l'aile A, si bien qu'on peut imaginer un 8x8 pour tous les niveaux.
  Ilan découvre au cours de ses investigations dans Swanessong une salle de contrôle permettant de visionner au moyen de 64 caméras cachées tout ce qui se passe dans le domaine.
  L'élimination un par un des concurrents de Paranoïa évoque aux survivants Dix petits Nègres, l'un des dix romans dont les citations cachées jalonnent VME.

  Voilà. J'ai fait le tour de ce que j'ai vu dans Puzzle qui éveille des échos perecquiens, et seul Thilliez peut préciser l'origine de son inspiration.
  Je suis comme déjà dit maintes fois familier des coïncidences les plus déroutantes, mais je n'en fais pas une règle absolue. Il y a toutefois dans Puzzle des curiosités qui me semblent défier toute analyse rationnelle. J'y viens.

  Chapitre 6, Chloé Sanders a franchi une étape dans le recrutement des concurrents de Paranoïa en décodant un texte débutant ainsi:
de Ce Joli Air A Deux au 56e trou du golf, tu traverseras Armor et (...)
  Des majuscules CJAAD elle a tiré, selon la correspondance A=0, B=1, etc., le nombre 29003 qui est le code INSEE d'Audierne, tandis que 56 est le Morbihan, connu pour son golfe, mais un explorateur breton s'est inspiré de ses origines pour baptiser divers lieux des îles Kerguelen, où il y a donc un autre golfe du Morbihan, une baie d'Audierne et un port d'Armor...
  Je passe sur la suite du décodage, ayant sursauté devant le code d'Audierne et m'étant demandé comment j'avais pu le louper à première lecture, mais c'est que cette première lecture était début 2015, et que c'est en octobre que j'ai relu l'interprétation du code postal d'Audierne dans Coran teint d'Etienne Perrot.
  Perrot s'est livré à un jeu sur le mot "pélican", dont les syllabes correspondent à 3 hexagrammes du Yi King, la Paix, symbolisée par le Sceau de Salomon, fusion de deux triangles correspondant à des principes opposés, le Feu et l'Eau, en chinois Li et K'an.
  Les numéros de ces hexagrammes, 11-29-30, sont réarrangés pour obtenir 29113(0), code postal d'Audierne, ville de naissance de Perrot. Je renvoie au billet pour les coïncidences vertigineuses associées à ce rébus.
  Je remarque que le code 29113 était alors aussi celui de Plogoff (il y a aujourd'hui deux codes distincts), or il était question dans le précédent billet de La quatrième porte de Josh Heyman, polar fictif dans le dernier Thilliez, REVER. Les enquêteurs y découvrent que ce Heyman est maintenant pensionnaire d'un hopital psychiatrique près de Plogoff.

  Y a-t-il un golfe de Plogoff aux Kerguelen ? Le 56e trou du golf m'a rappelé que celui qui a donné la résolution en ligne du puzzle de Thilliez y a laissé un trou, correspondant à la pièce du chapitre 56.
  Son blog quoilire m'a aussi appris que Puzzle avait d'abord été publié en feuilleton dans Les Echos, en 40 livraisons à partir du 8 juillet 2013. Elles étaient aussi accompagnées de 4x10 pièces de puzzle, permettant de composer chaque quinzaine un puzzle; voici le troisième:

  40 m'est évocateur. Je rappelle que c'est la pièce du chapitre 40 qui a été reprise chapitre 61 de l'édition Pocket. Thilliez, né le 15 octobre 1973, a écrit ce roman dans sa 40e année.
  Le roman offre un partage immédiat en 24-40 chapitres. Il y a d'abord le processus de sélection d'Ilan et Chloé, puis leur transfert à Swanessong où le jeu Paranoïa doit se dérouler sur 4 jours. Le chapitre 25 a ainsi en en-tête Premier jour, et les jours 2, 3, et dernier donnent une répartition des 40 chapitres en 17-11-8-4.
  J'ai eu la curiosité de chercher à quelles lettres ces nombres correspondent selon le code A=0, B=1, etc., envisagé pour trouver le code d'Audierne, et ils deviennent donc R-L-I-E. Ceci m'a aussitôt rappelé La bibliothèque de Villers, de Benoît Peeters, polar littéraire inspiré par Dix petits Nègres, dont les 5 chapitres codent de deux manières les lettres I-V-R-E-L. Comme le dernier chapitre invite à reprendre la lecture au début du roman, le mot LIVRE apparaît.
  Puzzle peut inviter de même à une relecture pour repérer tous les indices montrant que le récit d'Ilan est fantasmatique, et la même opération mènerait au mot LIER, or Lucas est proprement "fou à lier" car, parce qu'il est insensible à la camisole chimique, ses gardiens sont contraints de l'attacher à son lit.

   Lors de mon premier compte des chapitres à Swanessong, j'ai loupé l'en-tête Troisième jour du chapitre 53, si bien que j'ai d'abord réfléchi à la séquence 17-19-4, ou 16-18-03 en omettant les chapitres 32-52-64 en italiques consacrés aux discussions entre Lucas et sa psy. 
  Or 16-18-03 évoque le nombre d'or 1,61803 arrondi à 5 décimales, ou encore par les rangs alphabétiques A=1, B=2, etc., P-R-C, presque PeReC, en pensant évidemment au roman sans E, La disparition.
  J'ai rapproché ceci du numéro 7643 de Lucas, qui n'apparaît que sur le puzzle. On peut imaginer qu'il correspond en miroir pour Ilan à 3467, séquence dans la numérotation des 26 (en fait 25) chapitres de La disparition soulignée par une page blanche.
   C'est l'occasion de signaler qu'il ne me vient à l'esprit qu'un cas d'erreurs majeures dans une réédition, celui de La disparition précisément, dont l'édition Gallimard d’avril 2003 offrait, entre autres coquilles, quatre « e »...

Il faudrait oublier cette piste issue d'une erreur, mais j'ai vu une possibilité de la valider. Les concurrents de Paranoïa ne résolvent en fait qu'une seule énigme, trouver le code permettant d'accéder le premier jour à leurs instructions pour le jeu. Je passe sur comment est trouvé ce code, C A 2 1 0 7, pour remarquer que les chiffres sont les mêmes que 2-10-7, Dedisset, mais 1 et 0 y sont séparés, d'où la tentation d'imaginer que la fusion des chiffres 1 et 0 en 10 invite à fusionner les jours 2 et 3...
  C'est tordu, mais les énigmes des chasses au trésor sont tordues, et lorsque j'ai tenté de m'y frotter il m'a fallu admettre que je faisais pâle figure face aux spécialistes du genre. Je relate ici un cas qui faisait intervenir La disparition, ce que j'avais pressenti, mais j'étais loin de la complexité de la solution, que plusieurs participants ont néanmoins trouvée.

  J'ai aussi eu la curiosité de chercher à quoi correspondait 2-1-0-7 selon le code donné explicitement dans le roman (A=0...), parvenant ainsi à CBAH, m'évoquant aussitôt BACH.
  Mes recherches sur le nombre d'or chez Bach ont été motivées par la découverte que les seuls couples Prélude-Fugue en rapport d'or du Clavier Bien Tempéré, étaient les pièces 14 de chaque cahier, 14 que même les exégètes les plus frileux admettent comme "chiffre de BACH", avec donc 24-40 mesures dans le premier cahier et 43-70 dans le second.
  24-40 comme la structure de Puzzle, avec 24 chapitres préludant au début du jeu.

  Je n'en déduis rien. Je rappelle que deux ans plus tôt Thilliez évoquait le nombre d'or dans [GATACA], mais de façon résolument négative.
  Je remarque qu'il y a 3 jeux de pièces correspondant au même texte, les 40 de la publication en série, les 64 correctes de l'édition Fleuve Noir, et les 63+1 chez Pocket, menant à une impossibilité d'achèvement du jeu.
  64-40-64 correspond aux césures dorées d'un sonnet d'alexandrins, que j'ai respectées à diverses reprises.
  On peut imaginer que la publication en 40 livraisons d'un roman en 64 chapitres a contraint Thilliez à écrire des chapitres longs, à publier seuls, et des paires de chapitres courts, à publier ensemble. Perec respectait de même pour VME des longueurs de chapitres fixées par son programme de contraintes.

  Le choix du prénom de Dedisset, Ilan, a probablement été motivé par la difficulté de trouver un prénom qui ne soit pas immédiatement identifiable à un groupe de majuscules, ici II AN.
  Quoi qu'il en soit, ilan est un mot hébreu, ou plutôt araméen, signifiant "arbre". Sa seule apparition biblique est dans le livre de Daniel, où Nabuchodonosor rêve d'un arbre gigantesque dont la cime s'élève jusqu'au ciel. Il y a une certaine analogie avec l'Echelle de Jacob.
  Le bilinguisme "ilan fou" est évocateur pour les connaisseurs du Nouveau Roman. En 1969 Jean Ricardou a publié Les Lieux-dits, court roman que j'ai étudié dans Viré lof pour fol. L'un des deux protagonistes est Olivier Lasius, qui est explicitement transformé en "asilus", premier bilinguisme.
  Il est vertigineux que le roman soit construit en 64 sections, 8 chapitres de 8 sections chacun, échiquier où s'affrontent Olivier Lasius et Atta. Les 8 chapitres ont des titres de 8 lettres correspondant aux lieux visités, et la table des matières fait apparaître dans une diagonale l'un des lieux (c'est moi qui colorie et souligne):

B a n n i è r e 
e a u f o r t 
B e a r b r e 
B e l R o i x 
C e n D R i e r 
C h a u m n t 
H a u t b o s 
M o n t e a u x

  Donc BELCROIX dans une diagonale, et dans l'autre MAADRBRE, à lire "mad arbre" en écho à "olivier asilus", comme l'a précisé Ricardou par la suite; olivier asilus, arbre mad, chardon calu...
  L'actu s'en mêle, et Ricardou vient de mourir, le 23 juillet. J'indiquais dans le précédent billet la mort de Leiris survenue le 273e jour de l'année alors qu'il avait spéculé sur ce nombre 273, et Ricardou, obsédé par les multiples de 8, peut-être à cause du nombre de lettres de son nom, est né en 32 et mort en 16...


  La seule énigme qu'Ilan résout est celle de l'Echelle de Jacob. Ilan a en hébreu la valeur 91, tandis que Ya'qov = 182, double de 91, et 182+91 = 273 = 13x21, produit des deux Fibos qui m'obsèdent.
  J'ai relié ces deux Fibos à la date du 31 août, 21e jour du 13e mois pataphysique, or la dernière livraison de Puzzle dans Les Echos (quotidien du lundi au vendredi uniquement) est parue le vendredi 30 août 2013, qui était donc le 20/13 (de l'an 140 à compter de la naissance de Jarry).
  L'endroit où sont trouvés les 8 cadavres, et où Ilan est conduit par l'Echelle de Jacob, est un refuge au-dessus du lac d'Ibron, lieu imaginaire, peut-être inspiré par le chalet Ibron en Suisse. Ibron est une orthographe donnée par Flavius Josèphe pour Hébron.
  Je tire de la page wikipédia ceci
En hébreu, le nom de Hevron, déjà présent dans le texte biblique il y a plus de 2500 ans, a pour racine חֶבְר dont dérivent beaucoup de mots qui ont une signification de lier (...)
  LIER... (voir plus haut RLIE décodage des 40 chapitres à Swanessong
  Hébron a pour autre nom biblique Kiryat Arba, la "cité des Quatre", suggérant qu'il s'agissait à l'origine de 4 villages réunis ensuite. Je rappelle que arba', "quatre", a en hébreu la valeur 273.
  Le tombeau des Patriarches est vénéré à Hébron, où sont supposés enterrés Abraham, Isaac, Jacob, et leurs femmes. La tradition juive y associe Adam et Eve. Je publie chaque année un billet le 31 août, et celui du 31/8/13 était Eve & Adam.

  Puisque j'en suis à mes Fibos 13-21, je rappelle que le motif de base a évolué récemment, en partie grâce à l'édition Pocket de Deuils de miel, n° 13121, en 13-1-21, que j'ai relié aux rangs des lettres mères en hébreu, מאש, translitérées MAS, ce que j'étudie essentiellement dans Uno más, Sam. Le rébus Paix-Li-K'an du natif d'Audierne y était également cité, car ces lettres MSA
 symbolisent l'Eau, le Feu, et l'équilibre entre eux.
  Le découpage de la citation de Proust en exergue du roman fait apparaître dans ses 3 premières lignes l'acrostiche Mas:
Mais, quand d'un passé ancien rien ne subsiste,
après la mort des êtres, après la destruction des choses,
seules, plus frêles mais plus vivaces, plus immatérielles,
  Le numéro 13121 est composé exclusivement de chiffres qui sont des termes de la suite de Fibo, 1-1-2-3-5-8-13-21..., qu'on le découpe en 13-1-21 ou 1-3-1-2-1. C'est aussi le cas du numéro de Puzzle, 15821 (1-5-8-2-1 ou 1-5-8-21).
  Les premiers tirages de Deuils de miel avaient une erreur, l'absence du chapitre 30, corrigée ensuite. Peut-être les tirages ultérieurs de Puzzle auront-il la bonne pièce pour le chapitre 61 (tiens 30+61 = 91).

  Si Ilan = 91 en hébreu, Lucas = 56 selon la gématrie française par rangs. J'ai rencontré plusieurs fois le rapport 56/91 (= 8/13 Fibo), associé à deux reprises au nombre 5691, constante notamment de cet OMSOS.
  La première victime de Ilan/Lucas, selon l'histoire d'Ilan qui est fantasmatique, se nomme
Valérie Gerbois = 147 (147/91 = 21/13).

  Lorsqu'un mot hébreu me semble important, je regarde souvent quelle est sa référence Strong, du nom du révérend qui a répertorié tous les mots bibliques en leur attribuant un numéro d'ordre alphabétique.
  Le mot ilan, אילן, est donc le Strong 363. L'ayant d'abord trouvé sur une page anglaise, j'ai tapé Strong 363 pour trouver une page française, et je suis tombé sur le Strong grec 363, anamimnesko, ἀναμιμνῄσκω,"se souvenir". Ainsi Lucas Chardon, dont le problème est de retrouver la mémoire de ce qu'il a fait, a créé son double Ilan, Strong hébreu 363, pour se souvenir, Strong grec 363...

  A propos des carrés 8x8, il y a le décodage du grand parchemin de Rennes-le-Château, dont la dernière étape consiste à répartir en deux carrés les 128 lettres du code, et à opérer une lecture selon la marche du cavalier.
  J'observe que la case de départ, B, est la même sur l'échiquier que la pièce finale du puzzle de Thilliez. Je n'aurais pas mentionné le fait s'il n'y avait un lien avec l'Echelle de Jacob: après son songe, Jacob décrète que l'endroit est sacré, terrible, et le nomme Béthel, "Maison de Dieu"; l'abbé Saunière a fait graver au fronton de son église la formule latine correspondante, Terribilis est locus iste.
  Je rappelle que l'hébreu "maison", BYT, est aussi le nom de la seconde lettre de l'alphabet, se transformant par atbash en SMA, les 3 lettres mères.

  Le titre de ce billet est un souvenir du premier roman paru sous la signature Patrick Quentin, en 1936 (carré de 44 et année de naissance de Perec). J'ai eu la curiosité de le relire, avec quelques surprises.
  Le précédent billet m'a conduit, via le roman imaginaire La quatrième porte de Josh Heyman dans le dernier Thilliez, à évoquer le réel roman de ce titre, première publication de Paul Halter. J'y signalais que c'est grâce à ce roman, où il est question de Houdini, que j'ai compris l'origine du nom Ehrich Weiss dans La Vie mode d'emploi, nom de naissance de Houdini, donné à côté des vrais noms des auteurs signant Ellery Queen (Frederic Dannay et Manfred B. Lee).
  J'ai été crédité de cette découverte dans un livre perecquien, mais avec une petite erreur puisque Houdini y était devenu Robert Houdin. Or l'un des points importants de Puzzle for Fools est que l'assassin est capable de se libérer d'une camisole de force, à la manière de Houdini, mais dans la traduction française de 1946, M.B. Endrèbe, dont j'ai eu l'occasion de parler ici, a rendu à chaque occasion Houdini par Robert Houdin.
  La signature "Patrick Quentin" cache comme celle "Ellery Queen" un duo d'écrivains, Hugh Wheeler et Richard Webb, et leurs carrières éditoriales ont de multiples points communs, avec de plus leurs ouvrages sous ces signatures à la même cote QUE dans les bibliothèques.

  Autre curiosité en relisant Puzzle pour fous : l'inspecteur qui enquête à l'asile se nomme Green, "vert", et l'un des nombreux suspects potentiels est le docteur Moreno, "nègre". Sachant que dans un roman aux multiples coïncidences, me touchant directement puisque certaines de ces coïncidences concernent mon propre roman, sans aucune possibilité rationnelle d'influence quelconque, le coupable suggéré d'une série d'académiciens qui ont tous des noms "verts" est Moreau, "nègre" de l'académicien "qui n'a écrit aucun de ses livres", j'ai décrété sans aucun indice factuel que le coupable serait Moreno.
   J'ai été comblé en voyant vers la fin Peter Duluth, le héros des Puzzles, énumérer tous les indices accusant Moreno, mais il y a un retournement de situation, tous ces indices étant forgés par le véritable assassin.
  J'avais apprécié que Moreno, "nègre", ait été associé à Houdini, né Weisss, "blanc".

Note du 5 août: J'avais omis de parler de Cécile Jeanne Gambier, une patiente de Sandy Cléor dont le cas a été évoqué devant Lucas Chardon dans le coma, lequel l'a fait intervenir dans le récit d'Ilan, sous le nom CJ Lorrain, qu'il découvre quand il accède à la salle de surveillance des 64 caméras être prisonnière au dernier étage de Swanessong, grâce à la caméra 60. Il parvient à la chambre de la prisonnière (titre de Proust) chapitre 58, et découvre qu'elle a écrit sur les murs à maintes reprises JACOB, ce qu'il avait déjà décodé, ainsi que des lettres H reliées entre elles, qui l'amènent au sens caché, "ECHELLE".
  Les initiales CJG, anagramme de celles de Carl Gustav Jung, m'avaient semblé insuffisantes, de même que "gambier", nom d'une plante comme "chardon" (pourquoi Ilan en a-t-il fait "lorrain" ?), mais il y a encore d'incontournables échos perecquiens.
  L'un des projets de Perec était un récit intitulé L'arbre, consacré à sa famille. Il y aurait été évidemment question de son grand-oncle, Jacob Bienenfeld, et de sa mère, Cécile Perec déportée à Auschwitz, et probablement d'une soeur qui n'a vécu que quelques semaines en 1938, Jeannine.

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