7.2.13

Seraphita


  Je rappelle une coïncidence qui touche deux textes aux multiples points communs, le roman L'insolite aventure de Marina Sloty, de Raoul de Warren (1980), et la nouvelle Tania Vläsy, de Philippe Claudel (2003), l'existence d'une édition avec en couverture un tableau de Burne-Jones.
  Je ne reviens pas sur les formidables coïncidences entre les deux textes, dans lesquels apparaît une même date, le 4 avril 1959, car l'affaire a rebondi avec quelques nouveaux faits, issus de mes lectures byattiennes.

  En couverture de l'édition originale de Possession (1990), le roman qui a apporté une certaine notoriété à Byatt, il y a un autre Burne-Jones, The Beguiling of Merlin, ce qui n'a rien d'étonnant car le roman concerne une poétesse dont le modèle avoué est Christina Rossetti. Il est probable que Byatt ait elle-même choisi cette illustration, reprise par la première édition française.
  Cette page indique que le modèle de The Beguiling of Merlin est Maria Zambaco, née Marie Terpsithea Cassavetti, qui fut la maîtresse de Burne-Jones et servit également de modèle à Rossetti. Ce pourrait bien être elle aussi la Vénus en couverture du Claudel comme la femme de La tête funeste en couverture du Warren.
  Cette information a fait écho à d'autres faits :
- la précieuse dp m'a signalé une récente réédition du roman Séraphîta de Balzac, avec en couverture un autre Burne-Jones (Love in a mist).
- dans Le livre des enfants (2009), dernier roman de Byatt traduit en français, elle imagine le personnage Sarah-Jane Stubbs, épouse du peintre et céramiste Benedict Stubbs, connue de tous sous le nom de Seraphita, qui a jadis été modèle pour Burne-Jones et Rossetti.

  J'ai été aussitôt frappé par la ressemblance entre Terpsithea et Seraphita. Ces noms sont formés des mêmes lettres AEHIPRST. Une requête TERPSITHEA + SERAPHITA n'avait en décembre qu'une seule réponse, une liste de 91058 prénoms. J'ai cherché parmi eux ceux formés des lettres AEHIPRST, et il n'y a que deux autres cas, Piatherese et Pretisha.
  Ceci donne une idée de la rareté de la coïncidence, mais qu'en déduire ?
  Il est assez certain que Byatt ait connu l'existence de Maria Zambaco, dont la liaison avec Burne-Jones a fait scandale, mais son second prénom de naissance Terpsithea a-t-il influencé le choix de Seraphita ? Par ailleurs il est très probable que le roman de Balzac ait eu une part dans ce choix, mais l'édition mentionnée ci-dessus est postérieure à ce choix, et ceci reste un hasard dans tous les cas de figure.
  Une autre édition de Séraphîta donne en couverture Beata Beatrix de Rossetti, peint d'après le souvenir de Lizzie Siddal, sa femme tôt disparue. Ceci pourrait confirmer que la couverture de Burne-Jones pour l'édition récente n'a rien de surprenant, et que les idées agitées par Balzac étaient analogues aux idéaux des préraphaélites.
  Je suis bien mal placé pour en discuter, n'ayant jamais pu lire Balzac et ne connaissant par ailleurs pas grand-chose en peinture, mais je suppose qu'il existe fort peu de fictions ayant connu des éditions avec en couverture aussi bien Burne-Jones que Rossetti, et la coïncidence du choix du nom Seraphita pour un modèle des deux peintres est à la mesure de cette rareté.

  Le livre des enfants est un pavé de 700 pages touffues, en 55 chapitres. 55, Fibonacci, voilà qui complèterait les 21 et 34 chapitres de La tour de Babel et Nature morte, étudiés dans le billet précédent, mais je n'ai décelé aucun découpage significatif de ces 55 chapitres.
  On y rencontre des dizaines de personnages, ce qui demanderait pour une totale compréhension de l'oeuvre une attention dont je n'ai pas été capable.
  Jung y est mentionné, ce qui est plutôt inattendu dans un roman se passant essentiellement avant la guerre de 14, alors que Jung n'était connu que dans le cercle restreint de la psychanalyse naissante, dans l'ombre de Freud. La première allusion est page 442 à propos d'Ascona, lieu mythique fréquenté au début du 20e siècle par des préhippies amateurs de défonce et d'amour libre, mais ce n'est que bien plus tard que Jung y sera associé, avec les rencontres du Cercle Eranos, et la référence à son nom est le fait d'une narration omnisciente, qui mentionne aussi les séjours à Ascona de Otto Gross et de son amante Frieda Richtofen, laquelle y rencontrera DH Lawrence qu'elle épousera en 1914.
  Jung apparaît plus réellement dans le récit page 567, avec l'apparition du personnage de Gabriel Goldwasser, médecin juif qui a fait une psychanalyse au Bürghölzli avec Jung et Gross, ce qui situerait l'action en 1908 lorsque Gross a été interné au Bürghölzli après quelques frasques.
  Tobie Nathan a romancé cet épisode dans Mon patient Sigmund Freud, où l'auteur se montre peu charitable envers Jung, y apparaissant sous le nom Carl Gustav Alt ("vieux" plutôt que "jeune"). Plutôt qu'avoir été guéri par Jung, Gross y affirme que c'est en fait plutôt lui qui a soigné Carl Gustav, et qui lui a ouvert le chemin de la libération en l'encourageant à céder à son désir pour une infirmière, Else Richt, nom qui m'a semblé faire allusion à Else Richtofen, la soeur de Frieda, également maîtresse de Gross.
  Je trouve un écho curieux à cette bizarrerie dans le roman de Byatt, dont l'un des personnages essentiels est Elsie Warren, jeune femme que les revers de la fortune ont contrainte à s'engager comme servante chez les Stubbs, chez Seraphita. Elsie, subornée par quelqu'un dont elle se refusera à dévoiler le nom, bien que le lecteur puisse en avoir une idée, tombe enceinte et met au monde une fille, Ann. Mais elle rencontrera ensuite le véritable amour avec Charles Wellwood, jeune homme disciple de Marx qu'on appelle toujours Charles/Karl.
  Vient la guerre, et Charles est mobilisé. Au cours d'une permission, Elsie lui accorde ses faveurs, et la voici à nouveau enceinte, d'un petit Charles, puis Charles/Karl est porté disparu au front... Un heureux épilogue le verra revenir en 1919 auprès de sa bien-aimée...
  Il y a de quoi être troublé quand on sait que le "jeune Jung" (et non le vieux Alt), baptisé Carl Gustav, avait choisi un temps de signer Karl Gustav, jusqu'à la fin de ses études à Bâle. C'est donc dans une des rares fictions où il est question de l'épisode Jung-Gross au Bürghölzli qu'il apparaît un Charles/Karl qui engrosse une Elsie, alors que Tobie Nathan avait imaginé Gross en entremetteur d'une passade entre Carl et Else.

  Une autre bizarrerie du roman de Tobie Nathan est le changement du prénom de la femme de Carl Gustav, qui devient Irena (Alt) au lieu de Emma (Jung). L'indispensable dp a trouvé cette édition 10/18 de Emma, de Jane Austen, avec en couverture la même Beata Beatrix de Rossetti utilisée pour l'édition Berg de Séraphîta.

  J'ai remarqué dans Le livre des enfants la présence du nom Nathaniel, dans l'édition anglaise du moins. Ce nom si significatif pour moi est celui du héros du conte d'Hoffmann L'homme au sable, qui tombe amoureux d'Olimpia, laquelle se révèle être un automate. Une adaptation du conte en théâtre de marionnettes a marqué le frère d'Elsie, et la démarche de Seraphita lui rappelle Olimpia.


  L'incroyable dp a encore découvert l'édition de Possession en Livre de Poche n° 13756, avec un autre Burne-Jones en couverture, Le miroir de Vénus.
  Ce tableau de 1875, année de naissance de Jung, pourrait faire le lien entre La tête funeste en couverture du Warren, où se mire dans l'eau le personnage principal, dont le modèle est vraisemblablement (Marie) Terpsithea, et La louange de Vénus du Claudel, où le même modèle a visiblement inspiré Vénus.

  Je comptais en débutant ce billet ne pas revenir sur les coïncidences entre les textes de Warren et de Claudel, et puis quelques nouveaux faits sont intervenus en cours d'écriture.

  Laurent, autre précieux collaborateur, m'a signalé une quaternité dans le film de SF Halo 4, où seuls 4 humains survivent à l'assaut de la planète Circunius IV par les aliens, 4 jeunes militaires, 2 gars, 2 filles. Leur chef de section est la noire
APRIL ORENSKI = 56/91 = 8/13 (rapport Fibo)
  C'est la découverte des mêmes valeurs pour l'héroïne de L'insolite aventure de Marina Sloty qui avait été le point de départ d'une ahurissante série de coïncidences avec la nouvelle Tania Vläsi, série qui se résumerait au plus bref ainsi:
- l'héroïne 56-91 perd sa virginité le 4 avril 1959.
  Dans le cas de Tania, 56-91 n'est pas une gématrie, mais un numéro qui lui est donné explicitement, 5691.

  J'ai relié ce couple doré à la formule de Perec Sait-on l'heure ?, qui se répartit selon voyelles et consonnes en
AIOEUE = 56 STNLHR = 91
et qui est l'anagramme exacte de Sinoué-Halter, les deux auteurs que j'associe essentiellement à ma découverte du schéma de la vie de Jung autour du 4/4/44 (j'ai vu il y a peu que ce rare équilibre Fibo voyelles/consonnes apparaissait pour Byatt, YA/BTT = 26/42 = 13/21).
  Je ne crois pas avoir jusqu'ici rencontré d'autre ensemble nom-prénom de valeur 56-91, mais le cas Orenski est fabuleux car
- c'est encore un nom slave.
- le prénom April est le mois d'avril anglais.
- le nom débute par Or, or sloty signifie "or" en polonais.
- mieux encore c'est OREN + la désinence "ski", et je suis fasciné par Une affaire en or, pastiche fibonaccien de La mort et la boussole de Borges, où Alain Calame a remplacé le message de Baruj Spinoza par celui de Barbe Eloha, soit "En quatre est Dieu", et ARBE, "quatre" hébreu, correspond en rot-13 à NEOR, EN OR (ici les détails sur ce cas, en relation avec NERO, "noir").
- l'autre survivante du groupe est Chyler Silva, et SILVA est l'anagramme de VLASI, l'héroïne de Claudel.
Voici Silva et Orenski :
  J'ai tenté de regarder le film, qui semble plutôt destiné aux "très" jeunes. Le robot John-117 vient au secours des 4 survivants de Circunius IV, mais Silva est mortellement blessée au cours de leur fuite. Ceci pourrait faire écho à Tania Vläsi, la chute de la nouvelle laissant supposer que l'étrange histoire du n° 5691 fécondé par des nuées de mâles est le dernier fantasme qui a traversé l'esprit de la vieille fille qui s'est suicidée le 4 avril 1959.

  J'ai tout de même remarqué qu'il y a beaucoup de 4 dans ce film, et que le nom de la planète Circunius IV est évocateur du mandala, via circulus et unius ("Cercle de l'Un").
  Ceci me rappelle la découverte récente des OSMOS, ou carrés magiques de carrés, dont 56 parmi les premiers 91 ont une constante elle-même carrée. Le premier qui ne soit pas dans ce cas a pour constante 5691, et il est formé de carrés de nombres tous premiers.
  Une autre découverte récente est que la seule intrigue amoureuse originale que j'ai imaginée était entre
PIERRE DE GONDOL = 147
et la noire réunionnaise
TINE DENCEL = 91
  J'avais créé ce rapport 91/147 = 13/21 en 2000 où je ne m'intéressais pas spécialement à Fibonacci, sans intention de créer une relation numérique entre le couple car Pierre de Gondol est un nom imaginé par Pouy, tandis que Tine Dencel est l'anagramme de Le c(h)iendent, premier roman de Queneau, et peut-être premier roman à contrainte mathématique avec une structure en 91 sections réparties en 7 chapitres de 13.
  Avant que le nombre d'or ait pris Possession de moi, Livre de Poche n° (13.7)56...
  L'obsession 56-91 me fait encore remarquer que la liste de prénoms mentionnée plus haut compte 91056 prénoms sans compter Seraphita et Terpsithea.

  Quelques jours après que Laurent m'ait informé de ce nom 56/91, j'en ai découvert un autre, dans un film récent emprunté à la médiathèque, Parlez-moi de vous, de Pierre Pinaud (2012).
  Karine Viard y joue le rôle de Claire Martin, alias Mélina, animatrice à la radio d'une émission à succès de conseils affectifs, mais dont la vie privée est catastrophique, minée par l'abandon par sa mère alors qu'elle avait 5 ans.
  Précisément, le détective qu'elle a engagé vient de retrouver sa mère, et elle s'immisce incognito dans sa famille actuelle. La date de naissance de la mère a fait tilt :
 Deux jours après le 4/4/44, soit le Jeudi saint. C'est à 17 ans que Joëlle a eu Claire, soit peut-être en 61, année de mort de Jung. Après avoir reçu les informations, Claire prononce à haute voix son nom réel, et l'écrit : Claire Goulain (la ioung ?).
  J'ai calculé mentalement les valeurs, soit 48/79, rapport doré qui correspond notamment à Unica Zürn. Mon intuition du schéma de la vie de Jung a été immédiatement précédé de la réminiscence d'une erreur sur la date de naissance de Jung dans un roman lu 25 ans plus tôt, supposé être né le 6 juillet, mon anniversaire, ce qui m'a aussitôt rappelé une erreur sur la date de naissance d'Unica Zürn, elle réellement née un 6 juillet.
  Unica a été une pionnière de la poésie anagrammatique, et je me suis demandé si l'anagramme de l'épisode de Barnaby diffusé le 7 septembre 2008 avait joué un rôle dans mes intuitions de la nuit suivante, anagramme qui dévoilait précisément le secret d'une filiation.
   Je reviens au film, où Claire accepte mal que sa mère ait reconstitué une famille après l'avoir abandonnée, autour d'un fils qui s'est marié avec une femme qui avait déjà un fils, Lucas Joubert, qui vit avec eux. Lucas est très attiré par Claire, ce qui la bouleverse encore plus...
  La fin est ouverte, laissant entendre que les problèmes de Claire sont loin d'être résolus... S'il lui était impossible de céder à Lucas, elle a utilisé ses contacts pour lui permettre d'exposer ses travaux photographiques:
LUCAS / JOUBERT = 56/91 = 8/13
  J'ai déjà rencontré le cas d'une relation amoureuse entre deux personnes ayant chacune un nom doré, précisément entre Hans Bellmer et Unica Zürn. L'écriture de cette page m'avait amené à une curiosité concernant le 6 juillet, ma date de naissance, en tant que 187e jour de l'année.
NICOLAS DUVAUCHELLE = 73 + 114 = 187
  La curiosité est liée au fait que 1870 est le produit des Fibos 34 et 55, et je trouve fabuleux que Marina Sloty, dont le nom correspond à la séquence Fibo 8-13-21, fasse des sauts dans le temps entre l'année 1870, 34-55, et 1959, 89 ans plus tard. Comme toujours, c'est encore bien plus fabuleux si ce n'est pas intentionnel.
  Curieusement, longtemps avant de devenir acteur, Duvauchelle a fait sa première apparition à l'écran à 10 ans dans le premier film de Jaco van Dormael, lequel jouerait ensuite avec la suite de Fibonacci.
  Il a aussi joué dans le film Avril, où Avril est une enfant abandonnée bébé par sa mère, et qui retrouve sa famille...

KARINE VIARD = 58 + 54 = 112
  Je remarque d'abord 112, qui m'évoque en premier lieu les 112 mots de Vocalisations de Perec, de valeur totale 6272 = 112 x 56, 56 étant la valeur de NOIR. Je rappelle les 5 fois 6272 jours de Jung, et les 5 arrangements de Vocalisations.
  Le découpage 58-54 m'est aussi évocateur, car les 13 premiers vers de Vocalisations ont pour valeur 5854, avec de multiples échos qui m'ont conduit à écrire cette autre anagramme.
NADIA BARENTIN = 29 + 83 = 112
  Un autre 112 pour la mère disparue et retrouvée, rappelant que ce nombre 112 était pour Perec une forme du 11/2, le 11 février où sa mère était partie pour Auschwitz.
  Et une circonstance émouvante pour ce film, où Nadia Barentin a joué sa dernière scène à l'hôpital. Elle est morte quelques semaines plus tard, avant la sortie du film.

  Alors que ce sont des illustrations de couverture qui m'ont conduit à ce billet, le nom de Joubert a notamment été porté par Pierre Joubert, célèbre illustrateur des collections Signes de piste et Bob Morane.
  L'un des plus célèbres Bob Morane est daté de 1959. Peut-être Joubert a-t-il travaillé à cette couverture le 4 avril...
  Les illustrations intérieures étaient de Dino Attanasio, dont le nom m'est évocateur à cause de l'auteur de SF AA Attanasio, qui a notamment imaginé dans Radix l'anéantissement causal du CIRCLE en l'an 2113, préfigurant peut-être l'anéantissement de Circunius IV en 2526...

  Ce 7 février, je poste ce 138e billet de Quaternité à l'heure du lever du soleil.

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