28.6.11

3 histoires & 1 voyage

Suite au précédent billet j'ai lu, ou relu plus attentivement, un recueil de nouvelles d'Aveline en ma possession, et suis tombé en arrêt devant les deux premières phrases de la troisième nouvelle, de la série Trois nuits en une (1931) :
Le quadrilatère compris entre les villages de Brenay, Rimbault, Servières et Saint-Jacques-le-Vengeur est formé d'un long et triste plateau sans arbres, sans cultures, sans habitations. Une route le traverse en diagonale, de Rimbault à Servières; ligne droite de vingt kilomètres, qui n'est même pas ornée de poteaux télégraphiques, dont cette région pauvre n'a pas besoin.
Les mots "quadrilatère" et "diagonale" interpellent le familier de Perec, qui connaît notamment la rue où se passe La Vie mode d'emploi (VME), traversant en diagonale un quadrilatère formé par 4 rues parisiennes. Dans la version publiée de VME en 1978, c'est
la rue Simon-Crubellier, qui partage obliquement le quadrilatère que forment entre elles, dans le quartier de la Plaine Monceau, les rues Médéric, Jadin, de Chazelles et Léon-Jost.
mais dans une dactylographie de 1975 des premiers chapitres, il s'agissait de
la rue du Capitaine-Crubellier, qui partage obliquement le quadrilatère que forment entre elles les rues de la Verrerie, du Renard, St-Merri et du Temple.
La comparaison de ces deux lieux, bien réels, m'a conduit à une hypothèse, étudiée dans Franc-Cribleur (et le billet suivant) : Perec obsédé par les jeux alphabétiques aurait pu chercher un quadrilatère formé par quatre artères aux noms au mieux séquentiels, et je n'ai rien trouvé de mieux que son premier choix de 1975. Les initiales RSTV des 4 rues sont 4 consonnes consécutives (ou éventuellement 4 lettres consécutives dans l'alphabet latin), et un énoncé géométrique définit un quadrilatère par 4 lettres consécutives correspondant à ses sommets, ABCD par exemple.
Ce quartier du Marais ne convenait guère pour l'immeuble haussmannien envisagé par Perec, et le choix final livrait une belle possibilité JKLM, à la condition de transformer le Ch de Chazelles en K, comme Charles devient Karl outre-Rhin.
Ce n'était qu'une hypothèse, dont la réelle pertinence importe assez peu face aux coïncidences rencontrées hier 27 juin après la découverte du quadrilatère d'Aveline.

Après avoir aussitôt regardé les initiales des villages concernés, Brenay, Rimbault, Servières, Saint-Jacques-le-Vengeur, j'ai remarqué les lettres finales, YTSR, pouvant correspondre à une séquence consécutive dans l'alphabet grec, RSTY ou Ro-Sigma-Tau-Ypsilon, sans imaginer d'intention d'Aveline en ce sens.

Je reviendrai sur les noms des villages, pour m'arrêter d'abord sur une circonstance que je demande d'admettre. Je donnerai en fin de billet quelques éléments d'explication, qui de toute façon ne peuvent démontrer pourquoi, en montant me coucher peu après la découverte du quadrilatère RSTY d'Aveline, j'ai aussi pris un petit texte que j'avais écrit en 2000, Ellery Queen généticien et prophète.
J'ai donc regardé ce texte avant de lire la nouvelle d'Aveline, et j'y mentionnais des considérations tenues à WB Yeats par Ezra Pound sur ses Cantos, alors prévus au nombre de 100, comparés à l'Art de la Fugue de Bach, faisant apparaître des structures ABCD ou JKLM réapparaissant ensuite selon cet ordre ou à rebours.
Je remarquais pour ma part que si ABCD correspond à 1-2-3-4 dans notre alphabet, JKLM avait été utilisé par les gnostiques hellénisants pour désigner les 4 Evangiles, de Jôannes-Kephas-Loukas-Matthias, en admettant que Markos (Marc) avait consigné le témoignage de son père spirituel Kephas (Simon-Pierre). JKLM correspondent dans l'alphabet numéral grec aux nombres 10-20-30-40, de somme 100.
Dans l'alphabet hébreu aussi, et je le remarquais à propos de l'éventuel quadrilatère JKLM des 100 chapitres de VME, sans m'être alors souvenu de la structure JKLM évoquée par Pound à propos des 100 Cantos. Je n'avais pas non plus pensé que, dans l'alphabet grec, RSTY (ou RSTU) = 100-200-300-400.
J'aurais bien sûr mentionné ces correspondances dans Franc-Cribleur si elles m'étaient alors venues à l'esprit.
Je rappelle que le billet précédent, où Jean-Marc Berger était à l'honneur, m'avait fait évoquer l'évangile de (Jean-)Marc.

Franc-Cribleur parce que le quadrilatère initialement choisi par Perec était très proche de la rue Simon-le-Franc, que j'avais rebaptisée dans mon roman Sous les pans du bizarre Simon-le-Cribleur, anagramme de Simon-Crubellier bien sûr.
Je suis frappé par le nom d'un des villages du quadrilatère d'Aveline, (Saint-)Jacques-le-Vengeur, un nom de la même forme que Simon-le-Cribleur, mais la coïncidence ne s'arrête pas là.
D'abord aucun village de ce nom n'existe, je m'en doutais un peu, mais aucun "Jacques le Vengeur" non plus. Le Jacques usuel est plutôt fataliste...
Ensuite "le venjeur" est pour moi une vieille connaissance, en tant qu'anagramme de Jule(s) Verne, très probablement exploitée consciemment par celui-ci.
Puisqu'il y a une diagonale Rimbault-Servières, l'autre diagonale est nécessairement Saint-Jacques-Brenay, ce dernier nom étant l'anagramme, à une licence autorisée près, de Barine, or Jacques Barine est le pseudonyme d'un ami plusieurs fois évoqué, notamment dans le récent Disparitions, auteur sous ce nom des enquêtes de Jonathan Gibbey.

Il habite un village nommé Sermiers, que j'ai souvent tendance à écrire Serviers. Quant à Rimbault, comment ne pas penser à Arthur ? Je rappelle que lorsque j'ai voulu procéder à des calculs sur un poème symboliste, j'ai aussitôt pensé à Voyelles de Rimbaud, et que c'est sa version lipogrammatique Vocalisations, réduite à 4 voyelles, qui s'est révélée d'une grande richesse numérologique.
En décembre dernier, ma passion pour tout ce qui touche à Voyelles m'a fait lire un polar récemment paru, Mortelles Voyelles de Gilles Schlesser, qui ne m'a guère convaincu. J'y ai cependant remarqué un personnage nommé Paul Mistraki, habitant rue Michel-le-Comte. C'est dans un livre de Paul Misraki que j'ai remarqué, le 4/4/4, le schématisme de la date 4/4/44 dans le récit de l'expérience de Jung.
J'ai eu un instant d'émoi devant cette rue Michel-le-Comte proche de Beaubourg, me demandant si l'auteur n'avait procédé à un autre travestissement de la rue Simon-le-Franc, mais la rue existe, 200 m au nord.
Reprenant mes notes sur le livre, j'y vois que l'enquêteur se nomme Oxymor Baulay, ce que j'avais oublié en écrivant mon billet sur Bello, dont j'envisageais une lecture beau-laid. Des personnages de Schlesser se nomment Jacques Blot et Monica Bellochi, ce qui commence à dessiner une constellation avec Belot, Bello, Bialot...

J'en viens enfin à ce qui se passe dans le quadrilatère d'Aveline, choisi pour sa désolation par le personnage central de la nouvelle, Armand Duval, qui a choisi après une trahison amoureuse de cesser tout contact avec les hommes. Il a quitté Paris et roulé vers le sud jusqu'à ce plateau de Servières où, sur cette diagonale désertique, il a trouvé une maison isolée correspondant à son projet, la maison Lethuillier (si ce n'est pas Crubellier, ce pourrait en être plus différent).
Il achète donc la maison, et organise sa vie pour ne plus avoir à en sortir et ne plus voir personne. Cette solitude dure 5 mois, jusqu'au soir du 12 octobre où un cycliste se réfugie dans sa maison, au milieu d'un orage diluvien. C'est un représentant en mercerie nommé Mouton, et le mercier de Rimbault lui avait assuré qu'il pourrait rejoindre Servières avant le début de l'orage...
Duval dont le désarroi a plutôt crû pendant ces 5 mois de solitude absolue s'imagine que c'est la Providence qui lui envoie cet homme, lequel ne peut être que celui qui lui a volé sa femme, et il fracasse la tête de cet innocent Mouton (qu'il a cru bélier, si je peux me permettre).

Un Mouton représentant en mercerie, étrange écho anticipant dans cette nouvelle de 1931 la rivalité des amants de la dame à l'oeil-de-chat, Berger et Mercier.

Le climat de cette nouvelle m'a rappelé celui d'un roman de Pierre Benoit, Erromango (1929), où se présente pratiquement la situation inverse. Un homme vivant dans la solitude s'imagine que son voisin, seul contact avec la civilisation, est le mari d'une femme dont il a jadis été l'amant, et cette obsession l'envahit au point de ruiner sa vie.
Cherchant plus avant que mes vagues souvenirs, ce blog me rappelle que l'homme était un ingénieur agronome du nom de Fabre, et que son travail consistait à acclimater une race de moutons aux Nouvelles-Hébrides, les pauvres bêtes pâtissant de la déchéance de leur berger.
Fabre, du latin faber, c'est l'ouvrier, et je retrouve l'opposition évoquée lors du dernier billet entre producteur et commerçant, à propos de berger-mercier.

Peut-être le Mouton de la nouvelle (hybride ?) d'Aveline est-il inspiré des moutons crevés de Benoit, mais il y a plus extraordinaire.
J'ai achevé le billet précédent dans la matinée d'hier 27 juin, et avant de le poster à 13:04 heure propice (pour 13/04, 13 avril où commence L'oeil-de-chat), j'ai commencé à lire les Nouvelles nocturnes... Les 3 premières, Trois nuits en une, se présentent comme un dialogue entre le vieux docteur Madeline et un prétentieux jeune homme, que divers indices indiquent être tous deux des avatars de l'auteur.
J'en parlais vers midi au télephone avec mon érudite amie dp, qui m'apprit que le prix Goncourt 1932 avait échu à un Mazeline (Guy) pour un roman depuis longtemps oublié, Les loups, les jurés n'ayant pas osé primer Céline et son sulfureux Voyage au bout de la nuit.
Une heure plus tard, j'écoutais comme à chaque fois que j'y pense Le jeu des 1000 euros, à 12:45, et la question banco était : Quel célèbre ouvrage a été éclipsé au prix Goncourt de 1932 par Les loups de Guy Mazeline ?
Je n'étais pas au bout de mes surprises car voici que je découvre, en enquêtant sur ces Trois nuits en une, qu'elles étaient précédemment parues en 1931 sous le titre Trois histoires de la nuit, et que ce recueil faisait partie de la sélection pour le Goncourt 1932 !
Il va de soi qu'Aveline a dû y penser avec son docteur Madeline, mais n'a-t-il pas quelque peu retouché les nouvelles originales ? Ainsi c'est une certaine Louise F... qui a trahi le pauvre Duval, F comme Ferdinande ? Et ce Mouton tué n'est-il pas victime des Loups ? Il est de toute manière ahurissant qu'aient figuré trois ...ELINE dans cette sélection 32, et que les deux titres non primés se soient finis par ...DE LA NUIT.

Il est encore ébouriffant de trouver ce lien avec Voyage au bout de la nuit car on peut lire çà et là que les deux principaux livres manqués par les jurés Goncourt ont été ce Voyage... (que j'avoue n'avoir jamais lu) et VME.
Je suppose que l'incipit de la 3e Histoire de la nuit était le même que dans Trois nuits en une, et il est connu que l'incipit de VME,
Oui, cela pourrait commencer ici, comme ça, d'une manière un peu lourde et lente (...)
fait quelques emprunts à deux incipits de Céline, dont celui du Voyage :
Ça a débuté comme ça.
C'était le premier incipit donné dans le blog de même titre, découvert en écrivant le dernier billet, grâce à l'incipit de L'oeil-de-chat.
Celui de VME y est aussi donné, et il est encore extrêmement curieux que le chapitre 13 de VME mentionne un roman imaginaire, L'Or africain de Rémi Rorschash, paru en 1932 :
L'unique critique qui en rendit compte le compara au Voyage au bout de la nuit qui était sorti à peu près au même moment.

A propos du Duval tueur de Mouton dans la maison Lethuillier, il est à signaler qu'Aveline avait pour proche amie Simone Duval, sous l'identité de laquelle il a tenté de faire publier L'abonné de la ligne U, pendant l'Occupation. J'ai pu accéder à une page en cache (qui ne sera donc pas longtemps accessible), sur un site ayant vendu un article de la revue d'extrême-droite Gringoire avec un envoi d'Aveline montrant qu'il avait signé Simon cet article en pensant à elle :
‎Don Quichotte ressuscité. Gringoire, 12 avril 1935.‎
‎Article paru dans Gringoire, relatif à une traduction inédite du Don Quichotte par F. de Miomandre. Il a été collé sur des ff. in-12, sous chemise rose, avec envoi à Simone Duval (Simone Martin-Chauffier) "tu auras été ma marraine pour me permettre de louer Berthold dans cette ordure de "Gringoire" - idée qui ne me serait d'ailleurs pas venue toute seule : j'avais écrit l'article sur l'initiative de son éditeur. Tortueusement tien, Simon" [en fait, Claude Aveline].
C'est le 5e article de cette page, dont les deux premiers ont trait à Céline (Louis-Ferdinand).

Les Loups de Mazeline appartient à un cycle de 5 romans, Les Joncourt (pour gagner le Goncourt ?), ce qui me rappelle les 5 LOUP de Bialot, et les 5 Belot débutés en 1932.
Il me semble qu'Aveline a voulu laisser une bibliographie exemplaire, et l'a peaufinée en retravaillant certains textes, comme ces Trois histoires de la nuit de 1932 rééditées en 1956 avec des compléments et une 4e nouvelle, La nuit de Piètremont, sous le titre général L'amour de la nuit, puis rééditées en 1989 avec 10 autres nouvelles fantastiques.
L'oeuvre romanesque d'Aveline compte 12 titres, répartis en
- la trilogie La vie de Philippe Denis, 3 romans composés de 1930 à 1955;
- La Quadrature du Sort, 4 romans composés de 1928 à 1977;
- la Suite Policière, les 5 Belot écrits de 1932 à 1970.
3-4-5, je ne peux qu'entrer en résonance puisque mon roman était construit selon ce schéma, qui était notamment responsable du nom Noël Médec de mon personnage habitant la rue Simon-le-Cribleur.


Hier, j'avais besoin pour achever ma page d'une illustration montrant Sainte Emma. J'ai choisi d'en emprunter une à ce site, proposant un assez petit nombre de saints, et en cherchant la bonne icône je suis tombé sur Eliott, qui serait une autre forme d'Elie.
Je ne suis pas très sûr de la pertinence de cette identification, Eliott étant ailleurs donné pour une forme d'un vieux nom écossais, mais elle est assez générale et m'ouvre de nouvelles perspectives, notamment avec la disparition d'un Elliott Whitter au 4311 Claridge (Carl-idge n'avais-je pas osé écrire), discutée sur mon autre blog.
Ceci m'a aussitôt fait poser la requête Carl Eliott, avec diverses orthographes, puisque je vois une certaine relation entre Jung et Elie, sans résultat immédiat, or voici que sur la page consacrée aux Cantos j'aperçois le nom Charles Eliot Norton, traducteur de la Divine Comédie de Dante (dont les 100 chants ont probablement inspiré Pound).

Il y a un lien indirect entre Jung et Pound, car celui-ci a reçu en 1949 le premier prix Bollingen de poésie, fondé par Paul Mellon admirateur de Jung. Cette nomination a fait scandale car Pound avait épousé la cause fasciste et passé la guerre en Italie, où il a été arrêté en 45. Son cas a quelque ressemblance avec celui de Céline, qui a suivi Pétain en Allemagne après la Libération.

Ce billet ayant donné lieux à des développements imprévus, je sens qu'il serait trop long de tenter d'expliquer pourquoi je suis monté me coucher hier avec Ellery Queen généticien et prophète, et pourquoi j'y parlais des figures JKLM dans les Cantos de Pound. Ce sera pour un autre billet.

Je suis interloqué, entre autres faits, par celui que ma recherche sur Aveline m'ait mené à Erromango, dont la figure féminine est Alice. Or je ne crois pas que je me serais lancé dans cette recherche si Belot n'avait habité rue Arthur-Rozier, à quelques dizaines de mètres de mon ami Jean-Pierre Le Goff.
J'ai consacré mon premier billet de l'année à Jean-Pierre, Arisu n'est plus ici, ainsi nommé parce qu'il apparaît dans une BD de Boilet-Peeters, Demi-tour, récemment réédité dans sa version manga, avec Le Goff devenu Arisu, soit la forme japonaise d'Alice.
J'y remarquais aussi que le dessinateur (Frédéric) Boilet était à une lettre près (Frédéric) Belot, je pourrais maintenant le voir à une lettre près de Benoit (et le prénom du scénariste Peeters est Benoît). Il y a un autre livre dans lequel j'ai retrouvé le climat d'Erromango, le premier prix Médicis en 1958 La mise en scène de Claude Ollier (incidemment un autre nom de corporation, indiquant qu'un de ses ancêtres fabriquait de l'huile).
Benoît Peeters m'a confié avoir emprunté à ce roman le nom de Lessing, pour La Bibliothèque de Villers (1980), évoqué à plusieurs reprises, la dernière fois en rapport avec Le Goff. S'il est hypothétique que les quadrilatères perecquiens (et encore plus l'avelinien) répondent à une exigence alphabétique, cette volonté est parfaitement évidente ici, avec 4 meurtres commis aux 4 coins d'un carré parfait dans Villers, les victimes livrant les initiales successives IVRE; la dernière victime sera Lessing, conservateur de la bibliothèque au centre du carré.
J'ai envie d'achever ce billet avec Jean-Pierre. Je me souviens d'un repas en 2003 chez nos amis communs DUVAL où il nous avait fait part d'un fait survenu quelques jours plus tôt. Sortant de chez lui, rue Arthur-Rozier, le soir du 20 février, il remarqua au croisement avec la rue des Solitaires le curieux manège d'une femme qui prenait des photos. C'était un acte artistique, une "intervention", dont l'idée venait d'un ami chilien ayant écrit un texte sur La rue des Solitaires, titre d'un tableau de Rouault.
La démarche de Francisco Sanfuentes parut à Jean-Pierre si proche de la sienne qu'il lui proposa une action en commun : le même jour, le 11 mai 04, à la même heure, des documents identiques furent disposés sur les murs de la rue des Solitaires, à Paris, et sur ceux de la Calle Estrella Solitaria à Santiago. Je remarque sur ce plan que cette rue de l'Etoile Solitaire croise avec l'Avenida Ortúzar, où je reconnais des lettres d'ART(h)UR ROZ(ie)R.
La construction géométrique de La bibliothèque de Villers est inspirée par celle de La mort et la boussole, où Borges a donné des noms français à des rues et des lieux qui ont été reconnus comme appartenant à Buenos Aires. Ces deux résonances entre France et Amérique du Sud me semblent soulignées par un détail du roman de Peeters, où les victimes sont retrouvées avec des étoiles gravées dans le dos, à des positions calquant celles des meurtres dans la ville.

27.6.11

...MARC M'A TUER

Je me suis intéressé ici aux coïncidences "627", en observant que je regrettais de n'avoir pu revoir le film L.627 de Tavernier (devant son nom à l'article du code sur la législation sur les stupéfiants).
J'ai revu le film début juin, et y ai remarqué essentiellement ceci : "Lulu" y retrouve un indic en un lieu où j'ai reconnu le viaduc de la rue Arthur-Rozier, au-dessus de la rue de Crimée. Je connais l'endroit car Jean-Pierre Le Goff habitait dans cette rue, au 11, et la maison qu'on voit ici à gauche est l'immeuble du 26 rue de Crimée, où habite l'inspecteur Belot dans La double mort de Frédéric Belot (1932) de Claude Aveline.
Belot profite d'une sortie discrète rue Arthur-Rozier, au 43ter selon Aveline, pour mener une double vie. Connaissant la rue, je savais que les numéros impairs s'y trouvent de l'autre côté, et j'ai vérifié lors de mon récent passage à Paris que la seule sortie de l'immeuble rue Arthur-Rozier se trouve au 14 (ci-dessus une photo confirmant l'identité de l'immeuble).
Une petite curiosité : la valeur numérique de "ter" est 43, ainsi les numéros en partie fictifs de l'immeuble livrent le motif 26-43-43 qui m'est évocateur, car ma répartition selon le nombre d'or des 112 mots de mon anagramme de Vocalisations m'a conduit au schéma 43-26-43.

Je n'ai précisé ceci que pour "expliquer" pourquoi il m'a semblé devoir m'intéresser plus avant à la Suite Policière d'Aveline, suite fort originale car elle a débuté par l'enquête sur la mort de Belot, en 1932, en conséquence les 4 enquêtes ultérieures de Belot ont été situées à des époques antérieures.
Parmi mes très récentes découvertes de motifs 4-1, il y a eu l'ajout par Bialot d'un roman à la tétralogie LOUP publiée au Seuil en 1999-2001, précisément La ménagerie, enquête sur l'assassinat du commissaire Jean-Loup Fresnel, parue chez Rivages/noir en 2007. J'ai pu lire récemment ce roman, où Loup ne semble avoir de commun avec le Loup de la tétralogie que le nom.
Bref Bialot-Belot était un autre écho, et Aveline et Bialot ont en commun d'être des émigrés qui ont eu à pâtir de l'occupation nazie : Evgen Avtsine est entré dans la Résistance, Marc Joseph Bialograda a été déporté.

Je connaissais bien deux des cinq "Belot", La double mort et L'abonné de la ligne U (1947 mais écrit pendant la guerre), les plus longs et les plus connus. Un hasard me fit tomber lors de mon séjour à Paris sur une réédition 10/18 de Voiture 7 place 15 (1937) et Le jet d'eau (1947), restait L'oeil-de-chat (1970), que je lus en bibliothèque.
Mon attention fut pleinement acquise dès la première phrase :
Aujourd'hui, dimanche des Rameaux 1930 au soir, une pluie comme on n'en voit jamais ici transforme en torrent la rue Bonaparte, de la place Saint-Germain-des-Prés à la rue du Four.
J'ai mentionné à diverses reprises mes recherches sur les dates pascales, qui m'ont conduit peu après ma découverte du schéma 4-1 dans la vie de Jung à une liste de 5 polars couvrant exactement une semaine pascale, du dimanche des Rameaux à celui de Pâques. Les multiples coïncidences reliant ces 5 textes me fascinent à tel point que j'y ai consacré la seconde fournée de la version anglaise de Quaternité, qui prend le chemin d'une publication chaque 4 avril de 5 billets. Ceci m'a permis d'échanger quelques mèls avec Craig Holden, l'auteur du 4e texte découvert, Les quatre coins de la nuit, concernant la 4e semaine pascale chronologique (1996), et contenant le nombre 4 dans son titre.
Le bon sens me dictait que ces 5 textes ne pouvaient être les seuls, et je me demandais s'il me serait donné d'en découvrir d'autres, et dans quelles conditions, puisque à chaque découverte étaient associées de curieuses circonstances, et voici que j'arrivais par mes propres moyens à ce 6e texte, dont la première phrase s'achevait sur un Four (soit l'anglais "quatre" présent dans le titre original de Holden), celui de la rue du Four dont le croisement avec la rue Bonaparte se situe dans le 6e arrondissement (j'ai jadis appelé "éon Napol" le mystérieux phénomène s'ingéniant à multiplier les coïncidences, comme je l'ai dit notamment , où j'avais oublié avoir suggéré un prénom à cet éon Napol, Elie, que je devais ultérieurement associer à Jung).

En fait cet Oeil-de-chat ne répond pas intégralement aux critères que j'avais définis, car l'enquête sur un meurtre commis le dimanche des Rameaux se conclut le vendredi suivant, à 4 heures du matin, fin du roman. Mais les critères peuvent être adaptés, ainsi j'admettais dans mon schéma Le décorateur, d'Akounine (à ce propos, j'ai donné sur Quaternity cette couverture montrant un paysage nocturne, avec ses 4 coins occupés par les symboles des cartes), qui débute le mardi de la semaine sainte, et omet les deux premiers jours, tandis que ce sont ici les deux derniers jours qui manquent, mais le Vendredi saint est un jour crucial de la semaine sainte.
Bien que, toujours selon ces premiers critères, l'interprétation des oeuvres concernées soit secondaire, je crois avoir établi que leurs auteurs avaient intentionnellement choisi la semaine pascale, et ce pourrait bien être le cas aussi ici.

Dans son étude Claude Aveline ou une poétique de la prose (postface aux Histoires nocturnes et fantastiques), l'oulipien Jean Lescure avance que la clarté évidente de ses ouvrages recouvre bien autant de mystère que l'écriture la plus abstruse. Après une première impression "Il me cache quelque chose", Lescure préfère écrire "ça cache quelque chose". Plutôt "ça" que "il". Plutôt l'objet littéraire que la volonté du littérateur.
Plutôt "CA" que "ça", ai-je envie de préciser, me souvenant que le "double" policier de l'auteur d'initiales CA (3-1 dans l'alphabet) avait pour initiales FB (6-2). Lorsqu'il a tenté de publier L'abonné... pendant l'Occupation, Aveline vivant dans la clandestinité n'a pas changé les initiales de Belot, devenu Frédéric Bigot.

Lescure conte encore comment, en visite chez lui, Aveline s'exclama en découvrant le rayon Roussel de sa bibliothèque : "C'est à cela qu'on reconnaît une bonne bibliothèque."
Roussel, peut-être l'oeuvre la plus mystérieuse de notre littérature, en partie basée sur des jeux de mots. Lescure avance quelques hypothèses sur les comportements de divers personnages d'Aveline liés à leurs noms, auxquels Aveline déclarait attacher une grande importance.

Il m'est nécessaire de résumer l'intrigue de L'oeil-de-chat, en dévoilant la solution du problème donnée par Aveline, tant il me semble que cette solution est un leurre.
Jean-Marc Berger, 23 ans, étudiant aux Beaux-Arts, a fait la connaissance de la belle Huguette Sarrazin, 36 ans, habitant un hôtel particulier 9bis rue de la Ferme, à Neuilly, qui lui fait peindre des faux Van Gogh, écoulés ensuite aux Etats-Unis par son ancien amant, Paul Mercier Huguette désire rompre ce trafic, et épouser Jean-Marc. Elle en fait part à Paul la veille du crime, lors de l'inauguration du restaurant de luxe de Mercier, le Seau grenu, et celui-ci réagit avec une telle violence que Huguette, rentrée à Neuilly, cache une lettre dans sa bibliothèque, indiquant que si elle devait être assassinée, le coupable serait certainement Paul Mercier.
Le lendemain, dimanche des Rameaux, Berger réagit tout aussi mal au projet d'Huguette; il s'accommodait fort bien de l'argent facilement gagné avec ses faux, et refuse de jouer les gigolos. Les amants se battent, et Jean-Marc s'enfuit sans se rendre compte qu'il a blessé mortellement Huguette.
Mercier arrive ensuite, animé par une pulsion homicide, mais trouve Huguette morte, et décrète que c'est Berger qui l'a tuée. Il a alors l'idée curieuse de le mettre face à son acte en coupant la main d'Huguette, avec à son doigt l'oeil-de-chat offert par Berger, puis de placer cette main dans une valise avec quelques affaires prises au hasard. Comme il sait que Berger doit prendre le train le soir même pour aller voir ses parents à Lyon, Mercier se débrouille pour croiser son chemin, et échanger les valises de telle manière que Berger soit obligé d'ouvrir la valise sanglante en public. C'est certes un point délicat de l'intrigue, si incroyable que les enquêteurs ne peuvent croire le récit de Berger, et l'arrêtent.
Un témoignage viendra cependant corroborer son récit, et la lettre accusatrice de la victime amène Belot à venir appréhender Mercier à la toute première heure du Vendredi saint, et à le confronter avec Berger. Aveline prend la peine de donner le nom du chauffeur de la police qui conduit Belot au Seau grenu, Lacroix. Ce peut difficilement être anecdotique, de même qu'il ne me semble pas fortuit que ces deux amants d'Huguette aient tous deux des noms de métiers, Mercier et Berger. Ce dernier nom est couramment associé à Dieu (le psaume Tu es mon berger) ou à ses représentants. Leurs prénoms ne semblent pas anodins, l'apôtre Paul, et Jean-Marc n'est pas seulement la réunion des deux évangélistes Jean et Marc, c'est plutôt le nom réel caractérisant Marc né Jean, par ailleurs plus proche collaborateur de Paul. Paul de Tarse pour être précis, et dans cette affaire de main coupée il ne me semble pas indifférent que le père de Jean-Marc, Joannès, travaille non dans une mercerie mais pour les Tissus et Soieries Saint-Polycarpe (tarse et carpe désignent en anatomie des ensembles d'os similaires du pied et de la main).
Mercier et mercerie désignaient jadis marchand et marchandise, avant d'évoluer vers un commerce spécialisé, d'où Berger et Mercier pourraient correspondre à deux grands types d'activités humaines (production et exploitation ?)
Un autre personnage du roman a un nom de métier, et c'est la seule autre personne qui a une clé de la maison d'Huguette Sarrazin, sa servante Gisèle Charpentier. Bien qu'elle ait été convaincue de mensonge et de vol par Belot, les enquêteurs ne semblent pas avoir cherché à vérifier son alibi (elle est normalement de sortie le dimanche). Comme Jean-Marc n'avait aucune conscience d'avoir blessé Huguette, d'autres scénarios pourraient être envisagés.
Jésus était charpentier (selon l'évangile de Marc !), et Gisèle est l'anagramme de "Eglise". Paul et (Jean-)Marc figurent parmi les principaux propagateurs de l'Eglise. Claude Aveline, qui a utilisé le pseudo Lucien Valade, n'ignorait pas l'usage de l'anagramme.
J'avoue que je ne vois guère où tout ça mène, mais je ne connais guère toutes les subtilités de la théologie catholique. Incidemment, cette histoire où Jean-Marc n'est coupable que d'un homicide accidentel me rappelle un roman de Craig Holden, Lady Jazz, où un homme accusé du meurtre de sa femme préfère se laisser condamner que révéler les véritables circonstances du meurtre, tenant de la légitime défense. Je me souviens avoir été fort choqué par la morale catholique où le résultat d'une action prime sur l'intention, à tel point que je me demande aujourd'hui si l'aumônier n'avait pas délibérément choisi des exemples propres à détourner ses ouailles de la foi.

Holden, dont la structure des romans est mûrement pesée, m'incite à mentionner les 14 chapitres de L'oeil-de -chat, peut-être en corrélation avec les 14 stations du chemin de croix, présentes dans chaque église, donnant lieu à une cérémonie chaque Vendredi saint.

Comme maintes fois répété, je ne sais comment qualifier la coïncidence qui a voulu que, selon l'ordre chronologique des semaines pascales gouvernant les 5 polars jusqu'ici connus, le 4e et le 5e aient respectivement 4 et 5 dans leurs titres, aussi j'ai envie de conserver le critère d'achèvement le jour de Pâques (ou la nuit pascale où le Christ est censé être ressuscité) pour conserver ce magnifique équilibre, et de créer une nouvelle catégorie pour les polars s'achevant le Vendredi saint.
Il est encore fabuleux que le premier élément de cette catégorie appartienne à la Suite Policière, la série des 5 Belot qui est probablement un cas unique dans la littérature policière : un homme de lettres "reconnu" a daigné se livrer à ce genre "mineur", et son apport s'étend sur près de 40 ans, de La double mort... en 1932 jusqu'à L'oeil-de-chat en 1970, 5e titre qui est aussi le 4e selon la chronologie s'achevant avec la mort de Belot en 1932.
L'oeil-de-chat a d'abord été un feuilleton radiodiffusé en 1951. Les dates cruciales de la semaine sainte y étaient probablement déjà présentes, puisque le scénario est lié au départ en vacances de Jean-Marc. Pour le passage au roman, Aveline déclare avoir approfondi la psychologie des personnages du feuilleton.

Je suis encore ébahi d'être arrivé à ce roman, où il me semble que ce n'est pas par hasard que les trois familiers de la rue de la Ferme soient Mercier-Charpentier-Berger, grâce à un film d'un réalisateur français ayant aussi un nom corporatif, Tavernier. De fait Mercier peut être considéré comme un tavernier (et une taverne est en langage populaire une "crèmerie", anagramme de "mercerie"). Incidemment, un facteur déclencheur de mon dernier billet était Bergier (vieille forme de "berger").
Les criminels principaux de L'Abonné de la ligne U sont les frères Tavernier (Paul et Vincent), et ils doivent leur nom à une fantaisie qui a donné à Aveline les noms des personnages essentiels du roman, choisis parmi ceux qui suivirent Guillaume le Bâtard à la conquête de l'Angleterre.

Je remarque qu'un autre criminel d'Aveline a un nom proche de Berger, Bergeron dans Voiture 7, place 15, escroc de la stature d'Arsène Lupin qui semble être aussi le fameux Abonné de la ligne U, où il est cependant nommé Verdon.
Cette histoire ferroviaire rappelle une aventure d'Arsène Lupin, Le mystérieux voyageur, et je remarque que la date de naissance d'Aveline, le 19 juillet 1901, est la Saint-Arsène. Il y a d'étranges échos entre les Berger-Bergeron d'Aveline, le Lupin de Leblanc, le Loup de Bialot...
Je rappelle que j'avais remarqué ici la date de la mort d'Aveline, le 4 novembre 1992, Saint-Charles, 60 ans après la mort de Frédéric Belot un autre 4 novembre.

Curieusement, cherchant des blogs parlant de L'oeil-du-chat, je trouve celui d'Alain Cipit, ça a débuté comme ça, qui donne chaque jour une première phrase de roman (ou autre) et a donné celle que je donnais plus haut le 1er mai dernier. C'est la seule citation d'Aveline (et deux jours plus tôt c'était le seul incipit d'Avallone !)
Bizarrement (ou non ?), je suis aussi sur ce blog, en date du 18 novembre 2009. Merci, car je n'avais pas négligé cet incipit dont je reste fier.
J'ai eu la curiosité d'aller chercher quand monsieur Cipit avait créé son blog, le 25 avril 08, et de regarder quelques dates clés, comme celle du 8/9/8 où j'ai eu mon intuition jungienne au réveil :
"Quelle explication puis-je me trouver ?" pensait-il, lorsqu'il lui arrivait de penser.
Le 2 janvier 09, c'était le tour d'un des 5 polars couvrant la semaine pascale :
Le mariage de M. Robert Darzac et de Mlle Mathilde Stangerson eut lieu à Paris, à Saint-Nicolas-du-Chardonnet, le 6 avril 1895, dans la plus stricte intimité.
Je rappelle que l'un des points forts du roman est l'immersion du corps de Fred Larsan, fictif ennemi public n° 1, au soir du 13 avril 1895, à peu près au même instant où un autre Fred (Dreyfus), alors réel ennemi public n°1 pour la majorité de l'opinion, embarquait pour l'île du Diable où il était supposé devoir finir ses jours.
Comme Pâques tombait le 20 avril en 1930, le dimanche des Rameaux où Huguette meurt était le 13 avril (que j'ai tendance à lire 13/4 ou 134 valeur d'ARSENE LUPIN comme de REMI SCHULZ ou de PAUL AUSTER).
J'ai jadis eu un projet, Le parfum de l'amant d'Anouar, évidemment inspiré par le roman de Leroux, où le coupable d'un meurtre commis la nuit de Pâques était supposé être le narrateur, que j'avais nommé Breger anagramme de Berger, en pensant au docteur Shepard ("berger") du Meurtre de Roger Ackroyd. La narration de L'oeil-de-chat épouse parfois le point de vue de jean-Marc Berger, avec une certaine honnêteté puisque celui-ci ignore qu'il est responsable de la mort d'Huguette.

L'affaire des 627 (venant en grande partie de la naissance de JJ Abrams le 6/27) m'avait mené au 194, et au 19 avril Sainte Emma.
Mon enquête précédente sur Tintin m'a fait découvrir la date de la mort de la mère de Hergé, le 19 avril 1946, qui était un Vendredi saint.
C'est le 26-43ter de Belot qui m'a fait découvrir son roman s'achevant un Vendredi saint, et Tintin qui est un 43bis (TIN = 43) habite 26 rue du Labrador.
Belot-Abellio ? Dans le système gématrique propre à cet auteur, le Tétragramme YHWH a pour valeur 43, sa valeur usuelle étant 26 (Raoul de Warren mentionne cette valeur 43 dans Les portes de l'enfer).

22.6.11

au hasard Alcazar

 
  Les coïncidences Planète m'avaient amené à quelques recherches sur Jacques Bergier, et à découvrir ainsi qu'il avait servi de modèle à un personnage de Hergé, Mik Ezdanitoff dans Vol 714 pour Sydney.
  J'ai lu avec passion tous les albums de Hergé parus jusqu'à la fin de mon adolescence, et les ai souvent relus ensuite, mais je connais très mal les deux derniers albums, Vol 714 pour Sydney (1968) et Tintin et les Picaros (1976). Sans doute témoignent-ils de la grave crise créatrice de Hergé après les immenses réussites des précédents albums, toujours est-il que je les ai alors relus, sans enthousiasme. Une petite chose tout de même : la rivalité au San Theodoros entre Alcazar et Tapioca, s'échangeant le pouvoir au fil des révolutions et contre-révolutions, n'offrait-elle pas un écho (synchronistique) à l'échange entre Carl Jung et Theodor Haemmerli ? Je n'ai pas alors jugé que cela valait d'être développé, et puis j'ai récemment (14 juin) feuilleté Hergé et l’énigme du Pôle, thèse hardie où Paul-Georges Sansonetti prétend décrypter le parcours initiatique de Tintin, notamment par la gématrie.
  J'ai du mal à prendre cette tentative au sérieux, à moins d'admettre comme je le fais depuis longtemps que les relations gématriques sont le plus souvent synchronistiques, échappant aux intentions des auteurs. Toujours est-il que je survolais cette analyse assez négligemment jusqu'à ce que je tombe sur l'interprétation gématrique du drapeau du San Theodoros. Sansonetti y voit un symbole du Soi (terme jungien) et relève 
CERCLE ROUGE = 46+66 = 112 
NOIR = 56, moitié de 112
  J'ai plusieurs raisons de réagir, d'abord parce que 112x56 a constitué ma première illumination en gématrie moderne, avec la découverte il y a bientôt 15 ans que les 112 mots du sonnet de Perec Vocalisations avaient pour valeur 6272 = 112x56. Ceci devait rebondir lorsque je découvris que la vie de Jung se répartissait selon un motif 4-1 autour du 4/4/44, et que la durée unitaire de ce motif était 6272 jours (voir notamment ici).
  J'y reviendrai, mais l'apparition de la gématrie de CERCLE ROUGE est aussi pour moi ébahissante, car j'ai publié il y a quelques années Une étude en cercle rouge, en ligne ici, à propos d'une incroyable série de coïncidences entre les oeuvres de Leblanc et Doyle. Au plus bref :
  - En mars et avril 1911, le Strand publie une aventure inédite de Sherlock Holmes, The Red Circle (Le Cercle rouge), dont un élément important est le décodage d'un message lumineux par l'équivalence ordinale des lettres dans l'alphabet, à la base de la gématrie (à noter ce générique de l'adaptation TV, où le cercle rouge chevauche des bandes claire et sombre pouvant rappeler le drapeau du San Theodoros).
  - En ces mêmes mois de mars-avril 1911, Je Sais Tout annonce et publie la nouvelle inédite Les Jeux du soleil, où Lupin décode un message lumineux basé sur le même code alphabétique.
  - Le Cercle rouge de Doyle n'a été publié en recueil qu'en 1917, année où Leblanc s'est livré à un jeu unique dans sa carrière, une novélisation, celle du film américain The Red Circle (1915), sans rapport avec la nouvelle de Doyle, devenu en France sans surprise Le Cercle rouge. Si on ne sait pas grand-chose du film original, perdu, l'adaptation débute par le décodage d'un message lumineux, toujours selon le même code alphabétique...
  Ces trois occurrences du même code sont à ma connaissance les seules dans les oeuvres de Doyle et Leblanc. Se reporter à mon étude pour plus de détails. J'y donnais aussi la citation en exergue du CERCLE ROUGE de Melville (sans rapport avec ni Doyle ni Leblanc), attribuée à Krishna (soit NOIR en sanscrit) :
Quand des hommes, même s'ils s'ignorent, doivent se retrouver un jour, tout peut arriver à chacun d'entre eux, et ils peuvent suivre des chemins divergents. Au jour dit, inexorablement, ils seront réunis dans le cercle rouge.
   Cercle, rouge, noir sont trois mots présents dans le sonnet Voyelles de Rimbaud, devenu Vocalisations chez Perec (où les cercles sont devenus des ronds, et le rouge du roux). Les cercles divins étaient associés par Rimbaud au U vert, couleur complémentaire du rouge également présente dans le drapeau du San Theodoros. Ce drapeau est apparu pour la première fois le 2 avril 1936 dans le feuilleton L'oreille cassée (en noir et blanc avant l'album couleurs en 1943), quelques semaines après la naissance de Perec le 7 mars.
  Incidemment, Georges Remi (Hergé) est mort un an jour pour jour après Perec, le 3 mars 1983.
  Hergé s'intéressait vivement aux idées de Jung, et a débuté une analyse avec le psy jungien Franz Riklin, ce qui l'a aidé à concevoir le scénario de Tintin au Tibet, débutant par un rêve où Tintin voit son ami Tchang l'appelant au secours, puis reçoit une lettre de Tchang lui annonçant sa prochaine arrivée, par un avion dont on vient d'apprendre qu'il s'est crashé dans l'Himalaya (tiens tiens, un ovale rouge sur la couverture). Dans l'album précédent, Coke en stock (1957), la première planche montre un cas typique de synchronicité avec Tintin et Haddock parlant du général Alcazar et le rencontrant aussitôt :  Hergé avait été conduit à Jung par son ami de toujours Raymond de Becker, dont le parcours collaborationniste lui a valu quelques années de prison après la guerre, évitées de justesse par Hergé. Du moins ceux-ci ont reconnu leurs erreurs...
  De Becker a ensuite "collaboré" au mouvement Planète, où il a été notamment responsable de l'Encyclopédie Planète Bilan de la psychologie des profondeurs (1968). Il a également écrit la préface de l'édition française de Essai d'exploration de l'inconscient (1962), l'un des derniers écrits de Jung dont je me suis avisé récemment de l'appartenance à un motif 4+1. Un rêve a conduit Jung à l'idée qu'il devait mettre son oeuvre à la portée du plus grand nombre, ce qui le conduisit au projet L'homme et ses symboles, oeuvre collective réunissant 5 essais de longueur similaire, 1 de Jung et 4 de ses principaux disciples. L'ouvrage parut peu avant la mort de Jung, mais Essai d'exploration de l'inconscient fut d'abord seul traduit en français.
  Reprendre Tintin et les Picaros dans ma perspective Jung-Haemmerli amène quelques échos : Tintin n'accepte d'aider Alcazar à prendre la place de Tapioca qu'à la condition qu'aucun sang ne soit versé, notamment celui de Tapioca, ce dont celui-ci est le premier à s'offusquer, réclamant d'être fusillé selon la tradition.
  La lecture de la fiche Wikipédia m'a fait découvrir que Peggy, la virago épouse d'Alcazar dans l'album, était selon les notes d'Hergé la fille du trafiquant d'armes Basil Bazaroff, apparu dans L'oreille cassée (et curieusement sur une vignette des Sept boules de cristal, en compagnie d'une petite fille). Ce représentant de la compagnie Vicking Arms est calqué sur Basil Zaharoff, président de la société Maxim-Vickers-Armstrong, et il se trouve que c'est un des personnages principaux du roman de Morris West qui a joué un rôle essentiel dans ma découverte du 8 septembre 2008, Un monde transparent, comme on le voit sur ce tableau synoptique des mots les plus fréquents dans le livre :   Basil Zaharoff y est l'employeur (et l'amant) de la comtesse Magda, laquelle vient solliciter Jung pour une analyse en 1913, et West a imaginé une relation érotique entre Magda et Carl. On peut se demander si Zaharoff ne serait pas le vrai père de Magda, car il lui confie qu'il a jadis connu sa mère (un monde trans-parent ?)
 
  Il y a des échos plus personnels. Dans l'équation essentielle qui a éveillé mon attention, CERCLE ROUGE x NOIR = 112 x 56, les valeurs des mots CERCLE-NOIR-ROUGE, 46-56-66, sont en progression arithmétique, or j'ai remarqué une relation de ce type dans le nom du créateur du forum Unus Mundus, 
REMO ROTH = 51-61 = 112.
 Remo a un second prénom, 
FELIX = 56, 
d'où son nom complet offre une progression ordonnée 51-56-61. Remo est la forme italienne de Rémi, et roth est une ancienne forme de l'allemand rot, "rouge".
  Une coïncidence récente a concerné le "rouge" sur le forum. Mon dernier billet Autun opportun levain daté du 23 mai a été achevé le 1er juin. J'y étudiais la remarquable correspondance du calendrier des événements de 1944 avec le motif soleil-lune, 53-87 jours correspondant aux gématries des mots hébreux 'hama-levana. Ceci m'avait ensuite conduit à rechercher quelques développements kabbalistiques autour du motif soleil-lune, et à découvrir que ce qui est souvent considéré comme le premier manifeste de la Kabbale, le Bahir (vers 1240), associe soleil et lune à Zerach et Perets, les jumeaux nés de l'union scabreuse entre Juda et Tamar (Gn 28), s'étant disputés le droit d'aînesse lors de l'accouchement. La sage-femme vit d'abord une main, à laquelle elle attacha un fil rouge, mais l'autre bébé se démena pour sortir le premier, d'où il fut nommé Perets (du verbe parats, "faire une brèche"). Vint ensuite l'autre avec son fil rouge, qui fut appelé Zerach, du verbe zara'h, "briller", auquel j'imaginais une connotation rouge à cause du fil, mais je découvris très récemment qu'il n'en était rien.   
  Je pensais développer ultérieurement ce thème fort riche à mes yeux, car Georges Perec vient d'une famille judéo-polonaise Perets, et j'évoquais dans mon billet ma lecture luni-solaire de son poème Noce qui m'a conduit à étudier les rapports dorés dans son oeuvre. Divers développements n'existaient que dans mon esprit lorsque j'ai découvert le 6 juin le nouveau sujet Zerach sur le forum Unus Mundus. J'ai peine à comprendre ce qui a pu conduire son auteur à ce titre, et je renvoie aux divers commentaires sur le sujet, où on verra que je croyais au départ que zera'h signifiait "rouge". 8 jours plus tard je découvrais le "cercle rouge" du San Theodoros, et l'enquête qui s'ensuivit me menait à Peggy Bazaroff, fille d'un marchand d'armes calqué sur Basil Zaharoff, nom vraisemblablement issu de l'hébreu zahar, signifiant "briller" comme zara'h, de probable même étymologie.
  Je devais encore apprendre que Hergé avait d'abord nommé le marchand d'armes Mazaroff, dans les strips de 1936 (ci-dessous son arrivée au San Theodoros sur une couverture d'août 1936) :   Peut-être cette modification a-t-elle été motivée par le succès en 1937 du ténor Todor Mazaroff, et ce serait fabuleux, car j'ai été amené à imaginer une certaine corrélation entre Alcazar-Bazaroff(Theodoros) et Jung-Haemmerli, or la fameuse vision de Jung lui a montré Theodor en Basileus de Cos, ce qui lui a fait craindre pour sa vie.
  Le mot mazar apparaît en hébreu biblique, c'est un hapax (Job 38,32) traduit par "étoiles", comme mazal (qui m'évoque mon village, Mézel, dont les trois roses de gueules du blason pourraient être assimilées à des cercles rouges); nous restons dans le domaine astronomique.
  Le mot mazal désigne aussi en hébreu la destinée, et je l'avais rendu par "hasard" dans mon récit Jaron Mézel, sans connaître cette forme mazar, ni sa relation à zahar(off). Je sais qu'il y a une ville Mazâr-e Charîf en Afghanistan, et Wikipédia m'apprend que mazâr y signifie "tombeau"; Haemmerli ayant pris le lit le 4/4/44 ne l'a quitté ensuite que pour la tombe, le 30 juin, 87 jours plus tard.
  A propos du nom Alcazar, gag imaginé en 1938 par Hergé, il est amusant qu'il soit amené dans Tintin et les Picaros (1976) à diriger une révolution de type castriste pour reprendre le pouvoir : Alcazar et Castro ont la même étymologie (latin castrum).
 
  Remo Roth est né le 11/11/43, à 11:11... Il mentionne volontiers cette jolie date, qui m'évoque aussi les 11-43 compulsifs chez Perec, échos probables à la déportation de sa mère le 11 février 43. La date fatidique peut être signifiée aussi par le nombre 112 : si les 112 mots de Vocalisations sont probablement accidentels, il l'est moins de trouver par deux fois dans son oeuvre un disparu laissant sur son bureau Dix-huit leçons sur la société industrielle ouvert à la page 112 (la date d'impression du Gallimard/Idées est le 11 février 62).
  C'est aussi un 11 février, 53 jours avant le 4/4/44, que Jung s'est cassé le pied, prélude à son infarctus. En poursuivant plus avant l'essai inédit de Bernard Spee sur Hergé précité, dont le chapitre 4 était titré Hergé, disciple de Jung ?, je suis arrivé au chapitre 10, Hergé, un as du cryptogramme ?, où l'auteur décortique l'album Le crabe aux pinces d'or. Il y suggère que le numéro CN-3411 de l'avion de Ben Salaad (fils de salaud) soit une allusion à un événement survenu en novembre 34, 11/34, selon un principe d'inversion appliqué systématiquement avec un certain bonheur aux noms forgés par Hergé (RG = Georges Remi).
  Que l'analyse soit pertinente ou non, elle est remarquablement parallèle à la théorie du 11-43 chez Perec, laquelle n'a jamais été démontrée de façon péremptoire.
  Une petite chose encore. J'hésitais à mentionner la valeur numérique de l'auteur de l'analyse gématrique de l'oeuvre de Hergé, SANSONETTI = 136, soit la valeur de JUNG-HAEMMERLI, depuis peu associés au couple lune-soleil. Et puis je m'avise que son nom dérive à l'évidence de Samson, dont le nom hébreu signifie "solaire", assez idéalement pour un partisan du mythe polaire.