15.3.10

Doubles doubles

Mon dernier billet citait le film Identity, de l'américain James Mangold, regardé grâce au hasard d'une liste privée où un membre signalait le film et son cousinage avec Dédales, du français René Manzor.
J'avais déjà vu celui-là il y a quelques années, et un peu de curiosité m'a mené à constater que les films des sieurs Mangold et Manzor, des noms qui se ressemblent quelque peu, sont sortis la même année, 2003, leur thématique voisine étant parfaitement illustrée par ces deux affiches :

Attention SPOILERS : Les 3 vedettes en tête d'affiche, Cusack-Liotta-Peet à gauche, Wilson-Testud-Diefenthal à droite, ne sont dans chaque film qu'une seule personne.
C'est le bon vieux thème des personnalités multiples, initié au cinéma par Hitchcock avec Psychose, adapté de l'excellent roman de Robert Bloch qui était probablement la première approche du genre.
Si Hitchcock se refusait à tricher en montrant des images contraires à la réalité de son scénario, Mangold et Manzor n'ont pas ce scrupule et multiplient les mystifications. A chacun d'apprécier au bout du compte s'il se sent floué, pour ma part j'ai aimé, mais ce blog est plus consacré aux synchronicités qu'à la critique cinéma.
Si la proximité de sortie des deux films exclut toute influence réciproque, leurs scénarios, tous deux originaux, exploitent de façon totalement indépendante leur thématique commune, ce qui me dispense de spoiler davantage.

Il y a d'autres coïncidences, ce qu'aidera à voir ce montage composé à partir des fiches IMDb de Dédales et Identity, où j'ai supprimé quelques lignes non significatives de l'en-tête, mais reproduit scrupuleusement les 6 premiers noms de chaque générique :
Identity est sorti originellement aux USA le 25 avril 03. Peut-être sa sortie a-t-elle été retardée en France parce qu'il participait au festival de Deauville, où il a été présenté en exclusivité le 6 septembre, 4 jours avant la sortie de Dédales.
Le quaternitaire obsessif repèrera que Mangold et Manzor ont eu respectivement 40 et 44 ans en 2003, mais il est probablement plus curieux que leurs dates de naissance, 1959 et 1963, correspondent aux parutions originales des deux premiers polars importants sur le thème des personnalités doubles, Psycho de Robert Bloch et The Player on the other side d'Ellery Queen (L'adversaire, auquel j'ai consacré plusieurs pages).
Le jungien s'amusera du nom du psychiatre chez Manzor, remarquablement interprété par Duchaussoy, Karl Freud !
Chez Mangold le psychiatre se nomme Malick, venant en 5e dans la distribution, tandis qu'au 6e rang de celle de Dédales vient un presque homonyme, Malik, que voici ci-contre à gauche de Diefenthal. C'est le second de l'équipe des flics, après Ray.
Voici le psychiatre Malick, à droite de Cusack. Si la fiche indique MALICK, un document vu dans le film donne l'orthographe MALLICKA noter que Diefenthal et Cusack sont dans chaque cas l'une des personnalités du tueur.
Malik signifie "roi" en arabe, beau nom pour un docteur puisque Jung rappelait que les médecins de Cos se nommaient eux-mêmes "rois".

Enfin il y a le flic principal de Dédales, uniquement connu comme Ray, nom ou prénom; c'est dans Identity le prénom de l'acteur Ray Liotta interprétant l'agent Rhodes, une des personnalités du tueur, qui n'est d'ailleurs pas vraiment un flic, mais passons puisque de toute façon, flic ou pas flic, il n'existe que dans la tête du tueur psychotique...
Ray en tant que patronyme est une forme de "roi", ce qui doublerait la coïncidence malik.
Ray en tant que prénom a pour moi un formidable écho, d'autant que l'acteur interprétant le psychiatre Malick se nomme Molina, anagramme de Malino. Ray est essentiellement le diminutif de Raymond, et le premier psychiatre que j'ai rencontré, dans des circonstances personnelles sans intérêt ici, était le docteur Raymond Malineau, en 1972, à Amiens. Il avait alors abandonné sa spécialité pour se consacrer à des tâches organisationnelles, et était médecin-chef des hôpitaux d'Amiens.
Tapant son nom, je découvre ici qu'il est mort le 11 février 2007, une date évocatrice (11/2/43, déportation de la mère de Perec; 11/2/44, accident de Jung prélude aux "visions de 44").
Amiens est encore une ville proche du méridien zéro, citée et commentée par Cherisey dans le chapitre XIII de Circuit.

D'autres curiosités ne concernent qu'un des deux films. Pour rester dans le fil rouge du méridien zéro, le tueur de Dédales doit son syndrome à ce que sa mère l'enfermait dans une cave, parfois pendant des semaines. C'est cet album qui lui aurait fourni ses identités dissociées, Thésée-Ariane-Dédale-le Minotaure. Aucune trace nulle part de l'album, ni de son supposé auteur Marie Renn. Je présume qu'il s'agit d'un montage pour ne pas nuire à une oeuvre ou un auteur réels. Toujours est-il que "fil d'Ariane" est une expression volontiers associée à la Méridienne, laquelle passe par Rennes-les-Bains, ce qui intéresse particulièrement les chercheurs de l'affaire de Rennes-le-Château, où Marie-Madeleine joue un rôle primordial.
Je remarque que la légende du Minotaure est particulièrement présente dans Le crime de Dédale, l'un des trois "polars minoens" de Paul Halter que j'associe à ma découverte du schéma 4-1 de la vie de Jung. C'est le psy Karl Freud qui découvre cet album dans la cave où sa mère enfermait "Claude", et en déduit l'origine de ses 4 autres personnalités.

Dans Identity, le psy Malick conteste la condamnation à mort du tueur Malcolm Rivers grâce à un album, un cahier plutôt, écrit et dessiné par Rivers, où il mettait en scène le conflit de ses 11 doubles, dont une seule aurait une personnalité criminelle. Le récit est encore mensonger, et ce double criminel n'est pas le flic Rhodes (une autre île grecque) joué par Ray Liotta, mais l'insoupçonnable bambin Timothy York (qui a notamment tué ses "parents" George et Alice York, et ceci a une certaine logique car l'enfant Malcolm était comme "Claude" enfermé par sa mère prostituée lorsqu'elle recevait ses clients).
Or le second roman essentiel sur les personnalités doubles est L'Adversaire (1963), qui se passe dans la famille York, habitant York Square à New York, état de New-York.
J'ai étudié sur ce blog l'aspect quaternitaire de ce roman, sans y aborder une question extrêmement complexe. York avait été utilisé comme prénom 30 ans plus tôt par Queen, dans le peu connu La Tragédie de Y (1932), où un garçon de 13 ans un peu dérangé, Jonnie Hatter, décide de suivre à la lettre le scénario d'un roman policier que s'était amusé à écrire son oncle York Hatter, avec pour cadre sa propre famille. C'est proche de ce qui se passe dans L'Adversaire, où le simple d'esprit John Henry Walt obéit aveuglément aux injonctions de tuer les York qui lui sont transmises par des courriers signés Y. Alors que la source première de ces crimes selon les lettres JHWH du Tétragramme paraît être la nouvelle de Borges La mort et la boussole (1942), Queen avait donc proposé antérieurement une intrigue où le démiurge comme son élève répondent aux initiales YH ou JH, translitérations valides des premières lettres du Tétragramme.
Le présent cas du jeune York homicide est un autre écho troublant, les enfants meurtriers étant un thème plutôt rare.

Dans Identity le rôle de Caroline, star en perte de vitesse, est joué par Rebecca de Mornay (ci-contre photographiée par Timothy White). Dans cette histoire où tous les doubles de Rivers ont des noms où prénoms d'états US, je remarque que la victime du dernier Queen, The Tragedy of errors (dont seul le synopsis a été publié), est une ancienne star de cinéma, Morna Richmond, dont le nom est la capitale de l'état Virginia, prénom d'un des autres doubles de Rivers. Le nom Morna Richmond est lui-même issu du personnage de Norma Desmond dans Sunset Boulevard, et l'anagramme Morna-Norma évoque le premier dissocié de l'écran, Norman Bates, qui est aussi sa mère Norma. Le psychiatre qui explique son cas à la fin de Psychose est curieusement un docteur Richmond ! Et c'est une Virginia, l'actrice Virginia Cregg, qui interpète Norma Bates dans la fameuse scène de la douche, puis dans les suites de Psychose.
A bien y regarder, les lettres de Norma-Morna sont présentes dans Manzor, et la différence entre MANZOR et NORMAN tient aux lettres N et Z, identiques au quart de tour près. J'ai précisément envisagé les meurtres en J-H-W-H inscrivant un N à York Place, dont le centre est la stèle en hommage à Nathaniel York, auquel s'identifie John Henry Walt, me demandant si ce N ne faisait pas écho au Z du Queen précédent, Le mot de la fin (1958), décryptage de la logique criminelle de l'alphabet s'achevant sur l'initiale de l'hébreu zayin, "poignard", en lien encore avec un des premiers Queen, La Tragédie de Z (1933).
Je rappelle que si Manzor (pseudo du frère de Francis Lalanne) est né l'année où naquit Norman Bates sous la plume de Robert Bloch, Mangold est né l'année où Queen imaginait l'assassin John Henry Walt, simple homme (MAN) obéissant à son double caché, Dieu en personne, GOD. Le détective découvre ceci grâce à un tic de langage du York survivant qui se déclare affligé du Sadim touch, soit un don de Midas inversé qui lui fait transformer l'OR qu'il touche, GOLD, en RO, DLOG; selon le même principe il a nommé son chien, DOG, du nom diabolique Belzébuth car DOG est l'inverse de GOD, "Dieu".
Rebecca de Mornay intervient aussi dans les fabuleuses coïncidences Gaines-Haines relatées ici, où je remarquais notamment que de Mornay était l'anagramme de Raymonde.

Pour ma part,C'est normal, c'est Norman ! j'ai été si marqué par Psychose que mon premier projet romanesque à peu près achevé faisait intervenir le propriétaire d'une auberge normande dont on se demandait s'il était Norman ou Norma.
Quant à mon roman complètement écrit et publié, d'une part il présentait une succession de morts explicitement calquée sur celle de L'Adversaire, d'autre part ces morts étaient complémentaires de l'énigme des lettres AILMNO, dont diverses anagrammes étaient proposées. Je n'ai pas manqué alors de penser à MALINO.

A la fin de Identity, ce qu'on croit être la personnalité survivante du tueur fredonne une chanson de Dylan, qui passe ensuite dans la bouche même du tueur. En 2007 est sorti I'm not there, originale adaptation par Todd Haynes de la vie de Dylan, où il est incarné par 6 acteurs différents, dont une femme (Cate Blanchett).

C'est comme je l'indiquais un message sur une liste privée qui m'a conduit à découvrir Identity, et à revoir Dédales, que j'avais d'ailleurs découvert par cette même liste 813 il y a quelques années, liste qui doit son nom au roman de Maurice Leblanc.
813 est dans le roman une énigme, dont la solution est indépendante de l'ordre des chiffres 8-1-3, et il est curieux que la valeurLes rivières et le moulin (MOLINA ou MILLer) des mots HUIT CENT TREIZE soit 183, solution équivalente à 813, selon un procédé qui donne d'autres résultats frappants chez Leblanc.
J'ai consacré de nombreuses pages au tic de Truffaut de citer le nombre 813 dans ses films, tic parfois imité par d'autres réalisateurs, tel son ancien assistant Claude Miller dans Betty Fisher et autres histoires. Tout ceci concourt à me faire remarquer que le numéro d'identification du tueur Rivers débute par 183A.

Il vient de me revenir une prodigieuse synchronicité multiple survenue en 2005, dont voici l'un des rameaux.
Le 20 janvier j'étais à Paris. Au cours d'une réunion avec quelques amis nous discutâmes de coïncidences diverses autour des lettres REY ou RAY qui se matérialisèrent quelques instants après dehors avec le bistrot "ALLERAY" dont les lettres de néon RAY étaient éteintes. Un des amis avait évoqué le récent film Ray, encore inédit en France (j'apprends par IMDb qu'il est sorti ce 20 janvier 05 en Argentine et en Israël).
Je pris ensuite le métro à Vaugirard jusqu'au terminus Etoile, logeant du côté des Ternes. Je lus pendant le trajet une nouvelle de Pierre Véry, L'étoile jaune, histoire de la mort du cosmonaute Goldberg dit Goldie, dans un recueil qu'un des amis avait insisté à me faire lire, Tout doit disparaître le 5 mai. Il y avait un "incident" à Etoile, avec les flics barrant l'accès à la sortie vers l'avenue Carnot que j'aurais normalement prise. Je pris l'avenue Mac-Mahon pour changer, ce qui me fit passer devant le restau L'étoile d'or, qui me frappa à cause de L'étoile jaune et d'autres occurrences récentes d'étoiles d'or. Je pensai notamment au roman de Daniel Zufferey L'étoile d'or (1998), où un bijou d'or en étoile est censé rappeler à quelques banquiers suisses leur monstrueux enrichissement grâce aux avoirs juifs non réclamés pour cause d'holocauste.
En consultant ma boîte mail une fois rentré, j'appris le suicide de ZuffeREY par un message de la liste 813.
Une colistière, Dominique Sylvain, venait de publier un polar intitulé Les passeurs de l'Etoile d'or, que j'achetai et lus le lendemain. Son personnage principal est un flic nommé Blaise REYER, un palindrome que je vis composé à partir de REY, "roi" espagnol, alors que Blaise est l'anagramme de Basile, "roi" grec (basileus).
J'ai nommé ce billet d'après le titre original du Queen de 1950, Double, double, alors que je ne me pensais pas à ces coïncidences Ray/Rey qui m'évoquent au premier chef le Queen de 1952, The King is dead, en français Le roi est mort, et dans les langues des pays où est sorti Ray le 20 janvier 2005, El Rey ha muerto en espagnol (voir plus haut), et Hamelekh met en hébreu (ci-contre, melekh même mot que malik en arabe).
Queen, c'est "reine", et je rappelle l'autre forme quasi palindrome vue dans Léviathan de Boris Akounine, Charles Reynier, nouvel écho à Ray Charles.

Wikipedia (en anglais) donne le détail des 11 identités de Rivers, montrant leur origine commune à partir de la liste des Etats. Je trouve amusant que Amanda Peet soit ici Paris Nevada, tandis qu'elle interprètera Dakota Whitney dans X-Files Régénération.
Je signale cette page belge sur Dédales, et le site officiel de René Manzor où j'ai appris qu'un remake américain va bientôt sortir, sous le titre Labyrinth.

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