23.3.10

à la source

J'étudiais ici les 3 seuls polars français (à ma connaissance) évoquant le Lebensborn de Lamorlaye, la filiale française des haras humains créés par Himmler pour doter le Reich nazi d'une progéniture soigneusement contrôlée selon ses critères de "pureté raciale".
Le hasard d'un fil suivi sur une autre piste m'a conduit au thriller de Jean-Christophe Grangé Les Rivières pourpres (1998), antérieur à ces polars, que j'avais lu à l'époque, puis dont j'avais suivi d'un oeil une diffusion TV de l'adaptation ciné. Je n'avais aimé ni l'un ni l'autre, et tout ce que j'en avais retenu était la date du 14 avril vue dans l'adaptation, m'étant vaguement dit qu'il faudrait que je vérifie dans le roman la présence de cette date cruciale (le premier publié des 5 polars couvrant une semaine pascale, Le parfum de la dame en noir, s'achève le dimanche de Pâques 14 avril 1895).
Les hasards du streaming m'ont conduit à voir en octobre dernier la suite ciné des Rivières pourpres, qui a trouvé ensuite un écho dans l'épisode Thirteen de Numb3rs, commenté ici. Il m'a fallu quelque temps pour me remémorer cette histoire de 14 avril et pour me décider d'abord à revoir le premier Rivières pourpres, afin de retrouver dans quelles circonstances apparaissait la date.
Je vis le film le 2 mars, puis relus le roman le 21 : la date apparaît sur la pierre tombale de Judith Hérault, née le 14 avril 1972 et morte le 23 septembre 1982. L'adaptation a éludé un élément du roman, où Judith est enterrée sous le nom de Jude Itero, avec des dates légèrement différentes, 23 mai 72 et 14 août 82.
Je remarque le chiasme 14-23 et le choix des mois voisins, sans rien en tirer d'évident. Il m'est beaucoup plus immédiat que l'intrigue concerne une entreprise de type Lebensborn. Si le mot n'est cité ni dans le roman, ni dans le film, il apparaît dans cette critique en allemand du film, indiquant que l'enquête concerne une université des Alpes, qui
n'est pas seulement une université d'élite, mais pratique aussi une politique de sélection des personnes génétiquement saines à la manière du "Lebensborn" nazi en son temps.
L'essai Sleuthing ethnicity est plus précis :
L'intrigue diabolique des Rivières pourpres est intimement inspirée des Lebensborn, centres où des jeunes femmes de "race pure" pouvaient rencontrer des SS et procréer avec eux. Les enfants étaient ensuite élevés dans des nurseries pour favoriser la création de la "Race des Seigneurs".
Le roman comme le film évoquent à maintes reprises l'exemple nazi à propos de cette sélection , ainsi dans ces répliques du film :
Vincent Cassel : On est tombé sur une fac de nazis ?
Jean Reno : C'est pas une fac, c'est un élevage.

Ce point étant acquis, la curiosité essentielle est que l'enquête concerne une série de meurtres ayant en commun la première victime, Rémy Cailloisdes victimes retrouvées sans mains et sans yeux. Or un curieux point commun des 3 polars Lebensborn est le thème de l'amputation, sans nécessité apparente puisque dans Le doigt coupé de la rue du Bison, c'est le hasard d'une enquête sur un doigt coupé qui mène le héros Pierre au Lebensborn de Lamorlaye, où il apprend que sa mère y est morte, sans rapport avec ce doigt dont l'origine restera d'ailleurs inconnue.
Dans Serial eater, un pasteur nazi a choisi le fils d'une femme née au Lebensborn de Lamorlaye pour réaliser un étrange plan, tuer des femmes, et utiliser des parties de leurs corps pour épeler la formule biblique ototay eleh beqirbo, "mes signes dans leurs entrailles". Avant d'être arrêté, le tueur a tué 4 femmes et écrit 5 lettres hébraïques, les 4 du premier mot alef-taw-taw-yod, et l'initiale du second mot alef. Une main de la première victime lui a suffi pour le premier alef, et il a souligné la main de la dernière victime de ses deux yeux pour le second alef, différencié du premier qui est un alef 'holem, notant le son o, tandis que celui-ci est un alef tsere, notant le son è, ce que le système diacritique exprime par deux points sous la lettre.
J'ai discuté ici l'étrangeté du roman de Tobie Nathan, où cette histoire d'inscription en hébreu des lettres équivalentes à ATTA dans notre alphabet me semble un prétexte cachant l'épellation du nom de Mohammed Atta, le chef des terroristes du 11 septembre, pilote du vol AA-11 écrasé sur les Twin Towers. J'ai émis l'hypothèse que Nathan ait magnifié ainsi certains aspects prémonitoires de son roman de 1995, Dieu-Dope, où il y avait un assassin (attal en arabe égyptien, donné dans le roman) à la jambe coupée, en relation étroite avec la lettre T. Ce sont deux jambes entières qui sont utilisées par l'assassin de Serial Eater pour écrire les deux lettres taw de sa formule, taw devenu notre T.

Le film Les rivières pourpres a perdu une part importante des enjeux raciaux du roman, par exemple en omettant la traque du "Jude" (Itero) aussi bien par les "nazis" que par le flic beur Karim, devenu dans le film le moins typé Max (joué par Vincent Cassel, fils de Jean-Pierre qui joue Bernard Chernezé, le principal responsable "nazi").
Or Jude, c'est "Juif" en allemand, devenu sous le Reich le tétragramme inscrit sur l'étoile jaune infâmante, et c'est donc Judith, yeoudit "juive", qui exécute les "nazis" avec l'aide de sa soeur jumelle Fanny.
C'est vraisemblablement dans le même esprit que Nathan avait créé dans Dieu-Dope le personnage de "la petite Youde", Judith qui traque et exécute les anciens miliciens du régime de Vichy. Nessim Taïeb (traduction arabe de Tobie Nathan) l'utilise pour éliminer un bien plus dangereux nouvel émule de Hitler, l'unijambiste Antoine Habt (anagramme de Tobie Nathan).

N'ayant pas réussi à prendre l'intrigue des Rivières rouges au sérieux, j'avais lu le roman rapidement, sans déceler ses finesses d'écriture et de construction.
Dans une brillante analyse, Sjef Houppermans souligne les multiples doubles et reflets du roman, culminant dans son dénouement, le démasquage de l'assassin qui se révèle double, les jumelles Judith et Fanny. Ce jeu passe par les homonymies du langage : Niémans a peur des chiens, de l'animal comme de celui de son revolver; Karim aime le thé, et pratique un art martial peu courant, le té (apocope probable de tekudo).
Ayant la vague idée que te signifierait "main" en japonais, j'ai vérifié que c'est exact. Ainsi ce flic qui pratique la "main" va-t-il enquêter sur des mains coupées. Je dispose d'un texte électronique des Rivières pourpres, où une recherche m'apprend que les mots "té" et "thé" y figurent chacun deux fois. Ceci confirmerait l'idée d'une volonté du "double", et bravo à Houppermans d'avoir repéré ces mots (mais les 4 occurrences se situent dans le même chapitre 7, et les derniers "té" et "thé" sont très proches l'un de l'autre).
Pour ma part, dans la continuité du rapprochement avec Serial Eater et son tueur de la seconde génération du Lebensborn, je remarque ces doubles et thé, en écho aux deux T figurés par deux jambes par le tueur, tandis qu'il emploie deux mains (te) pour les A. Ces résonances pourraient dessiner un étrange schéma triennal :
1995 : parution de Dieu-Dope, où Tobie Nathan présente le nouvel Hitler Antoine Habt, privé d'une jambe, qui veut se forger une armée d'esclaves assassins, attal, à la manière des haschichins du Roi de la Montagne. Son plan est stoppé par Judith, qui l'éventre du pubis jusqu'à la gorge comme une autre Judith avait jadis tranché la tête d'Holopherne.
1998 : parution des Rivières pourpres, où Grangé imagine un autre complot apparenté nazi, enrayé par deux jumelles, Judith et Fanny, qui exécutent les responsables en les étranglant avec une corde à piano, puis leur ôtent mains et yeux. Les jumelles démasquées meurent toutes deux, et c'était une mission suicide pour le commissaire Niémans qui les accompagne dans la mort.
2001 : 12 mars, parution de ma nouvelle Le cas Nard, où 4 soeurs, dont les jumelles Inoui et Ninon, exécutent des hommes en leur coupant mains et pieds; 11 septembre, abattage des TT, des Twin Towers ou Tours jumelles, par le commando suicide Atta, commandité par Al-Qaida, organisation comparée à celle des Haschichins.
2004 : parution de Serial Eater, où un élève d'un pasteur nazi disparu dans l'attaque des Twin Towers exécute des femmes et en prélève des membres disposés dans des églises pour écrire ATTA, achevé le 17 janvier 2002, la Saint-Antoine.

S'il s'agit de coïncidences plutôt légères, une recherche 11 septembre coincidence m'a mené à quelque chose qui m'a abasourdi. Dans le film Matrix (1999) apparaît un court instant, à l'envers, le passeport de Thomas Anderson (Neo); un arrêt sur image permet d'y lire que ce passeport expire le 11 septembre 01:
Et pourquoi pas après tout, bien que cette date fasse peut-être référence à un autre millénaire ou un autre calendrier, et qu'un autre document montré précédemment donnait Anderson né le 3 mars 62 à Capitol City, alors que ce passeport le fait naître le 13 septembre 71 à Capital City.
S'il y a trop peu de jours dans l'année pour s'étonner qu'une date particulière apparaisse dans la multitude des fictions, je suis cependant frappé de la date du 11 septembre dans Matrix. Sur une des pages où je développais les bizarreries entre les oeuvres de Tobie Nathan et le 11 septembre, Serial attal, je reproduisais la matrice du code biblique faisant croiser les expressions "terroriste Atta" et "homme égyptien", et parce que NEO est l'acronyme par lequel se désigne Nicolas d'Estienne d'Orves auteur des Orphelins du mal, parce encore que Thomas Anderson est le nom d'une victime dans le roman quaternitaire Double double d'Ellery Queen, je remarquais l'identité des noms et le doublement des initiales TA permettant d'écrire ATTA.
Or ce passeport donne dans l'ordre Anderson Thomas A., soit les initiales ATA, ce qui est une autre façon d'écrire le nom de Mohamed Ata qui n'a que 3 lettres en arabe comme en hébreu, tel qu'il figure dans la matrice du code biblique, et le passeport de cet Ata-là a bien expiré le 11 SEP 01, avec son propriétaire. On se souvient que le passeport d'un de ses compagnons fut retrouvé presque intact à proximité du World Trade Center, histoire assez absurde pour être crédible.

Les frères Wachowski réalisateurs des Matrix n'avaient précédemment pas grand-chose à leur actif, sinon le scénario de Assassins (1995, l'année de l'assassin attal).

Si la présence du 9/11 dans Matrix a été surexploitée, probablement en raison du côté contestataire du film, un autre 9/11/01 n'a pas eu les mêmes échos, peut-être parce qu'il apparaît dans un film plutôt conservateur, Independance Day (1996), où il s'agit d'un temps en minutes, secondes, centièmes, dans un compte à rebours au terme duquel sont détruites New York et Washington (ainsi que Los Angeles et quelques grandes capitales mondiales).
Le temps apparaît sur un ordi, d'abord à 27', puis pendant un peu plus d'une seconde, de 09:12:18 à 09:10:44. Comme il y a en principe 24 images par seconde dans un film, il n'était pas obligatoire que le temps 09:11:01 apparaisse, or cette image en témoigne, et le spectateur la voit sans artifice, alors que je ne pense pas qu'un spectateur de Matrix puisse percevoir, même de façon subliminale, la date d'expiration du passeport de Neo.
Le chronomètre ne réapparaît ensuite que pour égrener la dernière seconde (autrement dit on voit défiler la seule seconde complète 00:01 après la précédente seconde complète 09:11), après quoi survient la frappe des aliens, avec pour cibles privilégiées l'Empire State Building, dans une scène préfigurant ce qu'on verrait le 9/11/01, et la Maison Blanche, peut-être la cible du dernier Boeing détourné.
Plus de détails chez Neo Trouvetout.

J'ai été moi aussi quelque peu détourné de mon projet initial par ces découvertes. En se renseignant sur les curiosités de ces films on a quelque chance de tomber sur des sites prônant la théorie du complot à propos du 11 septembre; j'avoue ne pas saisir la logique menant à cela, mais c'est un fait que maints esprits carrés ne peuvent admettre les coïncidences, sans parler des synchronicités. Ainsi ce ne saurait pour eux être un hasard si John O'Neill, peu avant haut responsable du FBI, en ayant démissionné parce qu'on n'accordait aucun crédit à ses avertissements concernant Ben Laden et les dangers d'attentats aux USA, avait été nommé chef de la sécurité du World Trade Center le 23 août, et commencé à travailler effectivement le 10 septembre. L'homme qui savait mourut le 11 septembre, et les partisans de la thèse du complot soupçonnent donc qu'il avait dû son nouveau poste aux conspirateurs qui savaient ce qui allait se passer le 11 septembre...

Il existe des livres cataloguant des centaines de coïncidences, parfois bien plus extraordinaires que le cas de John O'Neill, sans complot envisageable (enfin sait-on jamais...)
Je privilégie pour ma part les cas indubitablement authentifiés, notamment les livres. Je conseille de lire mes diverses pages consacrées aux romans de Tobie Nathan, d'une complexité effarante, allant bien au-delà du 11 septembre, pages qui pourraient être reliées à un projet que j'ai abandonné parce que je n'en maîtrisais plus les proliférations.

Cette digression sur Matrix et autres m'a permis d'évoquer l'écriture sémitique de ATA en trois lettres 'ayin-tet-alef, or la gutturale 'ayin est l'ancêtre de notre O, et son graphisme original est d'ailleurs un cercle, représentant un "oeil", 'ayin précisément.
Ceci me permet de revenir à mes romans "Lebensborn", et aux Orphelins du mal de NEO (Nicolas d'Estienne d'Orves), où un message est délivré avec 4 mains droites coupées, portant des tatouages du Lebensborn. Ce sont les mains, amputées volontairement, de 4 clones de OTTO Rahn, un nazi mythique que NEO a imaginé maître d'oeuvre du Lebensborn. Tout ceci semble converger vers d'étranges échos :
- Le premier mot ATT-Y écrit par le serial eater se lit otot-ay, "mes signes" ou "mes lettres", avec le suffixe Y signifiant "mes", indiqué par la lettre yod signifiant "main" (yad), traduite pour le tueur par un doigt. Les seules "lettres" déposées dans des églises ont été ATT, se lisant otot, "signes", avec une main et deux jambes que le tueur aurait dû logiquement compléter par deux yeux, pour marquer les points diacritiques indiquant les voyelles "o".
- La lettre T, taw, est originellement un "signe", précisément. Le "signe" envoyé par Otto...
- Les lettres composant le nom du terroriste Ata sont 'ayin-tet-alef, 'ayin (oeil) et alef (taureau) étant interchangeables en hébreu moderne, au niveau de la prononciation, de même que taw (signe) et tet (écheveau).
- Je rappelle que te est aussi la main en japonais, ce que je sais grâce aux Rivières pourpres.

Tout ceci forme un écheveau (tet) inextricablement emmêlé, à prendre la tête précisément, mais ces correspondances sont effectives et certaines d'entre elles sont évidemment voulues par les auteurs, ce qui rend les autres encore plus étourdissantes.
J'abandonne devant ce vertige, pour aborder un autre point commun des maintenant 4 romans Lebensborn, le doigt coupé. Il y en avait un, anecdotique, que j'avais renoncé à mentionner dans Les orphelins du mal, et il y en a un aussi dans Les rivières pourpres où, pour prouver la mort de Judith Hérault, sa mère lui coupe un index qui identifiera un corps très abîmé dans un accident.

Je me bornerai à quelques échos avec les messages précédents.
J'évoquais dans le dernier le film Identity, où le tueur Malcolm Rivers s'est créé 11 autres identités, qui ont pour point commun d'avoir des noms d'états américains (Nevada, York...), or ici c'est l'identité réelle des jumelles meurtrières qui est Hérault, un département français (et une rivière, river).
Qui plus est, le titre anglais du livre, Blood-red Rivers (ou Crimson Rivers pour le film), fait apparaître le nom du tueur d'Identity.

Ces "rivières pourpres", c'est le sang, l'hérédité. Après leur premier meurtre, les jumelles laissent un message à l'intention des victimes suivantes, les maîtres des rivières pourpres, "je remonterai à la source des rivières pourpres". Attendu que le sang, c'est la vie (Dt 12,23), cette "source" correspond parfaitement au Lebensborn, "source de vie".

Cette page
compare la découverte du message "je remonterai à la source des rivières pourpres", écrit en lettres de sang sous le papier peint fraîchement posé dans l'appartement de la première victimein the House of the Timson King (c'est un brin plus grandiloquent dans le film), au message RACHE, écrit en lettres de sang dans l'appartement de la première victime de Une étude en rouge, à un endroit où le papier peint était décollé.
Avant que Holmes révèle que Rache signifie "vengeance" en allemand, la police pense au prénom Rachel. Rache-Rachel en lettres de sang, la vengeresse ou justicière (latin judex) Jude-Judith qui trace pareillement une inscription en lettres de sang pour prévenir ses futures victimes. Bel écho entre Une étude en rouge et Les rivières pourpres sachant que Rachel et Judith sont les deux reines rouges du jeu de cartes.

Mon dernier billet m'avait amené aux coïncidences Malik ("roi" arabe) et Ray (forme de "roi"), ce qui m'avait fait penser à l'énigmatique fin de Serial eater : la juge Belle porte un fils qui a 4 pères putatifs, dont le tueur qu'elle traquait qui l'a violée, et son amant de coeur, qui pilote une Sting Ray 66, lui intime de le baptiser Malik ou Melekh, "roi".
Ce tueur menait une entreprise désordonnée parce que celui qui l'y avait préparé s'était laissé séduire par Al-Qaida et était mort le 11 septembre dans le Boeing piloté par Atta. S'il n'est pas du tout assuré que ce pasteur Frantz Ullmann se trouvait dans le vol AA 11, il y avait au moins une personnalité à bord, la photographe Berry Berenson, veuve d'Anthony Perkins, alias Norma-Norman Bates, mais j'y reviendrai dans mon prochain billet.

A propos des personnalités multiples dont Perkins reste toujours 50 ans après l'interprète de référence, le thème corollaire est celui des personnes bien distinctes partageant une même identité, exploité notamment dans Les rivières pourpres où Judith a déjoué la traque dont elle était l'objet en vivant dans l'ombre de sa jumelle Fanny, partageant son identité.
J'avais ressenti un fort écho de Identity, où 11 personnes nées le même jour sont réunies dans un motel, avec ce qui aurait pu être le dernier Queen, Le mot de la fin (1958), où 12 personnes nées chacune sous l'un des signes du zodiaque sont rassemblées pour un étrange Noël. Une part de ces étrangetés consiste en de mystérieux cadeaux, faisant allusion à l'alphabet hébreu, par exemple une main pour la lettre yod, une autre est la présence d'un jumeau caché d'un des invités, partageant son identité.
C'est à peu près au même moment que le thème des personnalités multiples a été offert au grand public, avec The three faces of Eve (1957), puis Psychose (1960). Mes récentes investigations m'ont conduit à penser que Dannay (l'âme des Queen) était revenu à l'écriture, avec une histoire de personnalités multiples (L'adversaire, 1963), parce qu'il n'avait pu résister à la tentation d'utiliser à son tour ce nouveau thème, en résonance immédiate avec son dernier roman et d'autres oeuvres antérieures.

J'ai eu la curiosité de lire le dernier thriller de Grangé, La forêt des mânes (2009), avec encore beaucoup de mal à prendre l'intrigue au sérieux. J'y ai néanmoins encore trouvé beaucoup d'échos à mes préoccupations actuelles, mais le roman est trop récent pour que j'en dévoile les ressorts.
Il ne nuira cependant pas au suspense de savoir qu'un personnage s'y nomme Daniel Taïeb, or je suis fasciné par le fait que Tobie Nathan porte le même patronyme que Daniel Nathan, le nom sous lequel est né Frederic Dannay, alias Queen. Taïeb étant la forme arabe de Tobie ("bon"), que Nathan utilise d'ailleurs avec son double Nessim Taïeb héros de ses deux premiers romans, Daniel Taïeb constitue un lien inathandu entre les deux Nathan.

15.3.10

Doubles doubles

Mon dernier billet citait le film Identity, de l'américain James Mangold, regardé grâce au hasard d'une liste privée où un membre signalait le film et son cousinage avec Dédales, du français René Manzor.
J'avais déjà vu celui-là il y a quelques années, et un peu de curiosité m'a mené à constater que les films des sieurs Mangold et Manzor, des noms qui se ressemblent quelque peu, sont sortis la même année, 2003, leur thématique voisine étant parfaitement illustrée par ces deux affiches :

Attention SPOILERS : Les 3 vedettes en tête d'affiche, Cusack-Liotta-Peet à gauche, Wilson-Testud-Diefenthal à droite, ne sont dans chaque film qu'une seule personne.
C'est le bon vieux thème des personnalités multiples, initié au cinéma par Hitchcock avec Psychose, adapté de l'excellent roman de Robert Bloch qui était probablement la première approche du genre.
Si Hitchcock se refusait à tricher en montrant des images contraires à la réalité de son scénario, Mangold et Manzor n'ont pas ce scrupule et multiplient les mystifications. A chacun d'apprécier au bout du compte s'il se sent floué, pour ma part j'ai aimé, mais ce blog est plus consacré aux synchronicités qu'à la critique cinéma.
Si la proximité de sortie des deux films exclut toute influence réciproque, leurs scénarios, tous deux originaux, exploitent de façon totalement indépendante leur thématique commune, ce qui me dispense de spoiler davantage.

Il y a d'autres coïncidences, ce qu'aidera à voir ce montage composé à partir des fiches IMDb de Dédales et Identity, où j'ai supprimé quelques lignes non significatives de l'en-tête, mais reproduit scrupuleusement les 6 premiers noms de chaque générique :
Identity est sorti originellement aux USA le 25 avril 03. Peut-être sa sortie a-t-elle été retardée en France parce qu'il participait au festival de Deauville, où il a été présenté en exclusivité le 6 septembre, 4 jours avant la sortie de Dédales.
Le quaternitaire obsessif repèrera que Mangold et Manzor ont eu respectivement 40 et 44 ans en 2003, mais il est probablement plus curieux que leurs dates de naissance, 1959 et 1963, correspondent aux parutions originales des deux premiers polars importants sur le thème des personnalités doubles, Psycho de Robert Bloch et The Player on the other side d'Ellery Queen (L'adversaire, auquel j'ai consacré plusieurs pages).
Le jungien s'amusera du nom du psychiatre chez Manzor, remarquablement interprété par Duchaussoy, Karl Freud !
Chez Mangold le psychiatre se nomme Malick, venant en 5e dans la distribution, tandis qu'au 6e rang de celle de Dédales vient un presque homonyme, Malik, que voici ci-contre à gauche de Diefenthal. C'est le second de l'équipe des flics, après Ray.
Voici le psychiatre Malick, à droite de Cusack. Si la fiche indique MALICK, un document vu dans le film donne l'orthographe MALLICKA noter que Diefenthal et Cusack sont dans chaque cas l'une des personnalités du tueur.
Malik signifie "roi" en arabe, beau nom pour un docteur puisque Jung rappelait que les médecins de Cos se nommaient eux-mêmes "rois".

Enfin il y a le flic principal de Dédales, uniquement connu comme Ray, nom ou prénom; c'est dans Identity le prénom de l'acteur Ray Liotta interprétant l'agent Rhodes, une des personnalités du tueur, qui n'est d'ailleurs pas vraiment un flic, mais passons puisque de toute façon, flic ou pas flic, il n'existe que dans la tête du tueur psychotique...
Ray en tant que patronyme est une forme de "roi", ce qui doublerait la coïncidence malik.
Ray en tant que prénom a pour moi un formidable écho, d'autant que l'acteur interprétant le psychiatre Malick se nomme Molina, anagramme de Malino. Ray est essentiellement le diminutif de Raymond, et le premier psychiatre que j'ai rencontré, dans des circonstances personnelles sans intérêt ici, était le docteur Raymond Malineau, en 1972, à Amiens. Il avait alors abandonné sa spécialité pour se consacrer à des tâches organisationnelles, et était médecin-chef des hôpitaux d'Amiens.
Tapant son nom, je découvre ici qu'il est mort le 11 février 2007, une date évocatrice (11/2/43, déportation de la mère de Perec; 11/2/44, accident de Jung prélude aux "visions de 44").
Amiens est encore une ville proche du méridien zéro, citée et commentée par Cherisey dans le chapitre XIII de Circuit.

D'autres curiosités ne concernent qu'un des deux films. Pour rester dans le fil rouge du méridien zéro, le tueur de Dédales doit son syndrome à ce que sa mère l'enfermait dans une cave, parfois pendant des semaines. C'est cet album qui lui aurait fourni ses identités dissociées, Thésée-Ariane-Dédale-le Minotaure. Aucune trace nulle part de l'album, ni de son supposé auteur Marie Renn. Je présume qu'il s'agit d'un montage pour ne pas nuire à une oeuvre ou un auteur réels. Toujours est-il que "fil d'Ariane" est une expression volontiers associée à la Méridienne, laquelle passe par Rennes-les-Bains, ce qui intéresse particulièrement les chercheurs de l'affaire de Rennes-le-Château, où Marie-Madeleine joue un rôle primordial.
Je remarque que la légende du Minotaure est particulièrement présente dans Le crime de Dédale, l'un des trois "polars minoens" de Paul Halter que j'associe à ma découverte du schéma 4-1 de la vie de Jung. C'est le psy Karl Freud qui découvre cet album dans la cave où sa mère enfermait "Claude", et en déduit l'origine de ses 4 autres personnalités.

Dans Identity, le psy Malick conteste la condamnation à mort du tueur Malcolm Rivers grâce à un album, un cahier plutôt, écrit et dessiné par Rivers, où il mettait en scène le conflit de ses 11 doubles, dont une seule aurait une personnalité criminelle. Le récit est encore mensonger, et ce double criminel n'est pas le flic Rhodes (une autre île grecque) joué par Ray Liotta, mais l'insoupçonnable bambin Timothy York (qui a notamment tué ses "parents" George et Alice York, et ceci a une certaine logique car l'enfant Malcolm était comme "Claude" enfermé par sa mère prostituée lorsqu'elle recevait ses clients).
Or le second roman essentiel sur les personnalités doubles est L'Adversaire (1963), qui se passe dans la famille York, habitant York Square à New York, état de New-York.
J'ai étudié sur ce blog l'aspect quaternitaire de ce roman, sans y aborder une question extrêmement complexe. York avait été utilisé comme prénom 30 ans plus tôt par Queen, dans le peu connu La Tragédie de Y (1932), où un garçon de 13 ans un peu dérangé, Jonnie Hatter, décide de suivre à la lettre le scénario d'un roman policier que s'était amusé à écrire son oncle York Hatter, avec pour cadre sa propre famille. C'est proche de ce qui se passe dans L'Adversaire, où le simple d'esprit John Henry Walt obéit aveuglément aux injonctions de tuer les York qui lui sont transmises par des courriers signés Y. Alors que la source première de ces crimes selon les lettres JHWH du Tétragramme paraît être la nouvelle de Borges La mort et la boussole (1942), Queen avait donc proposé antérieurement une intrigue où le démiurge comme son élève répondent aux initiales YH ou JH, translitérations valides des premières lettres du Tétragramme.
Le présent cas du jeune York homicide est un autre écho troublant, les enfants meurtriers étant un thème plutôt rare.

Dans Identity le rôle de Caroline, star en perte de vitesse, est joué par Rebecca de Mornay (ci-contre photographiée par Timothy White). Dans cette histoire où tous les doubles de Rivers ont des noms où prénoms d'états US, je remarque que la victime du dernier Queen, The Tragedy of errors (dont seul le synopsis a été publié), est une ancienne star de cinéma, Morna Richmond, dont le nom est la capitale de l'état Virginia, prénom d'un des autres doubles de Rivers. Le nom Morna Richmond est lui-même issu du personnage de Norma Desmond dans Sunset Boulevard, et l'anagramme Morna-Norma évoque le premier dissocié de l'écran, Norman Bates, qui est aussi sa mère Norma. Le psychiatre qui explique son cas à la fin de Psychose est curieusement un docteur Richmond ! Et c'est une Virginia, l'actrice Virginia Cregg, qui interpète Norma Bates dans la fameuse scène de la douche, puis dans les suites de Psychose.
A bien y regarder, les lettres de Norma-Morna sont présentes dans Manzor, et la différence entre MANZOR et NORMAN tient aux lettres N et Z, identiques au quart de tour près. J'ai précisément envisagé les meurtres en J-H-W-H inscrivant un N à York Place, dont le centre est la stèle en hommage à Nathaniel York, auquel s'identifie John Henry Walt, me demandant si ce N ne faisait pas écho au Z du Queen précédent, Le mot de la fin (1958), décryptage de la logique criminelle de l'alphabet s'achevant sur l'initiale de l'hébreu zayin, "poignard", en lien encore avec un des premiers Queen, La Tragédie de Z (1933).
Je rappelle que si Manzor (pseudo du frère de Francis Lalanne) est né l'année où naquit Norman Bates sous la plume de Robert Bloch, Mangold est né l'année où Queen imaginait l'assassin John Henry Walt, simple homme (MAN) obéissant à son double caché, Dieu en personne, GOD. Le détective découvre ceci grâce à un tic de langage du York survivant qui se déclare affligé du Sadim touch, soit un don de Midas inversé qui lui fait transformer l'OR qu'il touche, GOLD, en RO, DLOG; selon le même principe il a nommé son chien, DOG, du nom diabolique Belzébuth car DOG est l'inverse de GOD, "Dieu".
Rebecca de Mornay intervient aussi dans les fabuleuses coïncidences Gaines-Haines relatées ici, où je remarquais notamment que de Mornay était l'anagramme de Raymonde.

Pour ma part,C'est normal, c'est Norman ! j'ai été si marqué par Psychose que mon premier projet romanesque à peu près achevé faisait intervenir le propriétaire d'une auberge normande dont on se demandait s'il était Norman ou Norma.
Quant à mon roman complètement écrit et publié, d'une part il présentait une succession de morts explicitement calquée sur celle de L'Adversaire, d'autre part ces morts étaient complémentaires de l'énigme des lettres AILMNO, dont diverses anagrammes étaient proposées. Je n'ai pas manqué alors de penser à MALINO.

A la fin de Identity, ce qu'on croit être la personnalité survivante du tueur fredonne une chanson de Dylan, qui passe ensuite dans la bouche même du tueur. En 2007 est sorti I'm not there, originale adaptation par Todd Haynes de la vie de Dylan, où il est incarné par 6 acteurs différents, dont une femme (Cate Blanchett).

C'est comme je l'indiquais un message sur une liste privée qui m'a conduit à découvrir Identity, et à revoir Dédales, que j'avais d'ailleurs découvert par cette même liste 813 il y a quelques années, liste qui doit son nom au roman de Maurice Leblanc.
813 est dans le roman une énigme, dont la solution est indépendante de l'ordre des chiffres 8-1-3, et il est curieux que la valeurLes rivières et le moulin (MOLINA ou MILLer) des mots HUIT CENT TREIZE soit 183, solution équivalente à 813, selon un procédé qui donne d'autres résultats frappants chez Leblanc.
J'ai consacré de nombreuses pages au tic de Truffaut de citer le nombre 813 dans ses films, tic parfois imité par d'autres réalisateurs, tel son ancien assistant Claude Miller dans Betty Fisher et autres histoires. Tout ceci concourt à me faire remarquer que le numéro d'identification du tueur Rivers débute par 183A.

Il vient de me revenir une prodigieuse synchronicité multiple survenue en 2005, dont voici l'un des rameaux.
Le 20 janvier j'étais à Paris. Au cours d'une réunion avec quelques amis nous discutâmes de coïncidences diverses autour des lettres REY ou RAY qui se matérialisèrent quelques instants après dehors avec le bistrot "ALLERAY" dont les lettres de néon RAY étaient éteintes. Un des amis avait évoqué le récent film Ray, encore inédit en France (j'apprends par IMDb qu'il est sorti ce 20 janvier 05 en Argentine et en Israël).
Je pris ensuite le métro à Vaugirard jusqu'au terminus Etoile, logeant du côté des Ternes. Je lus pendant le trajet une nouvelle de Pierre Véry, L'étoile jaune, histoire de la mort du cosmonaute Goldberg dit Goldie, dans un recueil qu'un des amis avait insisté à me faire lire, Tout doit disparaître le 5 mai. Il y avait un "incident" à Etoile, avec les flics barrant l'accès à la sortie vers l'avenue Carnot que j'aurais normalement prise. Je pris l'avenue Mac-Mahon pour changer, ce qui me fit passer devant le restau L'étoile d'or, qui me frappa à cause de L'étoile jaune et d'autres occurrences récentes d'étoiles d'or. Je pensai notamment au roman de Daniel Zufferey L'étoile d'or (1998), où un bijou d'or en étoile est censé rappeler à quelques banquiers suisses leur monstrueux enrichissement grâce aux avoirs juifs non réclamés pour cause d'holocauste.
En consultant ma boîte mail une fois rentré, j'appris le suicide de ZuffeREY par un message de la liste 813.
Une colistière, Dominique Sylvain, venait de publier un polar intitulé Les passeurs de l'Etoile d'or, que j'achetai et lus le lendemain. Son personnage principal est un flic nommé Blaise REYER, un palindrome que je vis composé à partir de REY, "roi" espagnol, alors que Blaise est l'anagramme de Basile, "roi" grec (basileus).
J'ai nommé ce billet d'après le titre original du Queen de 1950, Double, double, alors que je ne me pensais pas à ces coïncidences Ray/Rey qui m'évoquent au premier chef le Queen de 1952, The King is dead, en français Le roi est mort, et dans les langues des pays où est sorti Ray le 20 janvier 2005, El Rey ha muerto en espagnol (voir plus haut), et Hamelekh met en hébreu (ci-contre, melekh même mot que malik en arabe).
Queen, c'est "reine", et je rappelle l'autre forme quasi palindrome vue dans Léviathan de Boris Akounine, Charles Reynier, nouvel écho à Ray Charles.

Wikipedia (en anglais) donne le détail des 11 identités de Rivers, montrant leur origine commune à partir de la liste des Etats. Je trouve amusant que Amanda Peet soit ici Paris Nevada, tandis qu'elle interprètera Dakota Whitney dans X-Files Régénération.
Je signale cette page belge sur Dédales, et le site officiel de René Manzor où j'ai appris qu'un remake américain va bientôt sortir, sous le titre Labyrinth.

7.3.10

4 colombes à la une

à Perec, qui aurait 74 ans aujourd'hui

La réflexion sur le Triangle d'or de Maurice Leblanc m'a mené à une trouvaille qui à première vue m'a semblé relever de mon autre blog : sur la couverture de la première édition en Livre de Poche du roman, en 1968, figure une carte dont UN PLI, anagramme de LUPIN, coupe les lettres INU des inscriptions superposées et Les Pieds d'un personnage de la figure emblématique de la collection, qu'on peut supposer être Lupin, qui dans le roman se nomme Luis Perenna.
Je me suis intéressé à cette couverture grâce à un commentaire de Cherisey dans Circuit, qui feint d'identifier ce pli au méridien 0, or le pli qui traverse les lettres "un" et "I" se superposerait en fait au méridien 1 Ouest, par rapport au méridien 0 de Paris, soit le méridien "un" ou "I"...
Un pli plutôt confidentiel, donc, auquel je n'ai pas vu d'abord de nouvelle raison d'associer Jung; je rappelle que j'en parlais dans le dernier billet parce que la grande question du roman est de savoir ce qui s'est passé le 4 avril 1915.
Or le roman est d'abord paru en 1917, et cette couverture énigmatique est venue en 1968. 17-68, ou 68-17 : je rappelle qu'en années la vie de Jung se schématise en 68 ans (4x17) avant le 4/4/44, et 17 ans après.
Lacassin donne dans l'édition Bouquins pour premières dates de publication du Triangle d'or
Roman en 68 feuilletons quotidiens. "Le Journal", 21 mai-26 juillet 1917.
Malgré un petit problème (il n'y a que 67 jours du 21 mai au 26 juillet), je remarque 68 épidodes en 17, s'achevant le jour du 42e anniversaire de Jung, né le 26 juillet 1875.
A la fin du roman, le 16 avril 1915, Lupin a récupéré 300 millions de francs-or, et les offre à la France avec une petite condition : l'or doit être donné au Tsar bientôt contraint à capituler car ses soldats n'ont plus de balles, et les Alliés ne sauraient résister aux hordes teutonnes regroupées sur un seul front.
Le Triangle d'or était probablement écrit avant sa parution effective; quoi qu'il en soit l'année 1917 vit de grands changements en Russie, l'aigle bicéphale tsariste céda la place à l'ours bolchevique, ou la colombe en l'occurrence car Lénine s'empressa de signer en décembre 17 un armistice avec l'Allemagne, pour se consacrer à consolider sa République Socialiste Fédérative Soviétique de Russie, ou palindrome RSPSR, et à l'étendre à l'ensemble des territoires de l'ancien empire.
De l'or pour l'ours, ou la future URSS... Curieux quand on sait qu'un élément de la fantasque mythologie de Plantard et de ses amis est l'Ormus, confrérie née lors de la brisure de l'ormeteau de Gisors en 1188, qui deviendra ensuite le Prieuré de Sion...
L'emblème de l'Ormus aurait été ceci, dans lequel Plantard soulignait la possibilité de lire les mots "ours" et "or".
J'ai déjà mentionné de multiples coïncidences à propos de cet Ormus, sur cette page et sur ce billet consacré à la collection L'Empreinte-Police, éditée par La Maîtrise du Livre, dont le sigle présente, je m'en avise à l'instant, une étrange similarité avec celui de l'Ormus.
Je rappelle qu'une des coïncidences concernait le mot orma, "empreinte" en italien.
Après tout, puisque je supposais que Plantard et cie auraient essentiellement construit leur manipulation à partir des aventures d'Arsène Lupin, ces amateurs de polars ont vraisemblablement connu cette collection, et la similitude des sigles est de toute manière un autre fabuleux hasard pour cette collection de 34 numéros, si significative pour moi.

J'ai donné dans le précédent billet des exemples de ce qui semble avoir été une obsession chez Plantard, les ours et les colombes. J'avais omis un cas relevant peut-être en partie d'un hasard, car les chapitres des Archives secrètes du Prieuré de Sion, courts textes de Plantard, ont été groupés et ordonnés par l'éditeur (je remarque que ces textes sont ainsi devenus les chapitres 4 et 5 de la 3e partie). Toujours est-il que page 166 et 167 apparaissent en vis-à-vis L'oiseau bicéphale et L'ours; le premier est essentiellement la colombe, dans un rapprochement forcé puisque Plantard ne peut citer aucune réelle colombe mythologique bicéphale, qu'il relie à l'aigle bicéphale russe... L'ours se dédouble dans les figures des Grande et Petite Ourses, Callisto et Arcas, inscrites par Plantard sur son blason. Cliquer sur les pages pour agrandir.

Un autre hasard a voulu que, le 25 février dernier, une amie admiratrice de Richard Tauberténor et mercédès m'envoyât une photo du ténor trônant devant sa Mercédès. Sa notoriété était alors telle qu'il pouvait brûler les feux rouges à Berlin, les agents de police s'inclinant à son passage. Cette Mercédès fut confisquée par le nouveau régime en 33, son origine juive contraignant Tauber à se réfugier d'abord en Autriche, puis en Angleterre après l'Anschluss.
Mon amie me demandait donc si le numéro 25088 de l'auto m'inspirait quelque chose, or il se trouve que c'est 4 fois 6272. Jung avait vécu 25088 jours complets au matin du 4/4/44, et vivrait ensuite 6272 jours complets jusqu'à sa mort le 6/6/61 (je rappelle que 6272 m'évoque au premier chef ARSENE-LUPIN = 62-72).
Quel rapport entre Tauber et Jung ? Rien d'immédiat à première vue, sinon qu'il s'agit de deux célébrités contemporaines qui ont évidemment entendu parler l'une de l'autre, mais le mot Tauber apparaît dans un des quelque 55 rêves racontés par Jung dans Ma Vie... Vers la Noël 1912 il rêva qu'il se trouvait dans une loggia au sommet d'une tour d'un château, assis avec ses enfants autour d'une table taillée dans une pierre verte comme l'émeraude. Une colombe arriva et se transforma en une petite fille qui joua avec ses enfants quelques instants, puis redevint une colombe, qui expliqua lentement avec une voix humaine : "Ce n'est qu'au cours des premières heures de la nuit que je peux prendre forme humaine, lorsque la colombe mâle est occupée avec les douze morts."
J'ai abrégé le récit donné dans Ma Vie..., où ne figure pas un détail révélé dans la biographie de Deirdre Bair, laquelle a eu accès aux Protocoles, les entretiens retravaillés ensuite pour former le livre. Jung y précisait que sa première impression au réveil était le bizarre mot der Tauber, rare en allemand, pour la colombe mâle. Il s'est souvenu l'avoir entendu jadis dit par un de ses oncles, mais n'a rien réussi à en tirer.
1912 est l'année où Tauber commença sa carrière, et celle où les divergences entre Freud et Jung devinrent irréversibles, menant à une rupture officielle en 1913, et à la naissance de la psychologie analytique.
Puisque j'ai commencé avec Lupin, je crois devoir rappeler le roman "813", la plus ambitieuse aventure de Lupin, qui se passe en 1912 avec une surdétermination de 12, notamment dans le climax du roman, au 12e chapitre où Lupin découvre théâtralement une cache dans la 12e des 12 salles d'une galerie d'un château, vouée aux 12 Olympiens, et la cache pratiquée dans une horloge murale s'ouvre au 12e coup de midi.
Le nombre 12 est aussi présent dans le rêve de Jung, et la table de pierre verte ne peut que rappeler la Table d'Emeraude du mage Hermès, portant le nom d'un des 12 Olympiens, dieu des voleurs entre autres.
Je rappelle encore le roman Pilgrim de Timothy Findley, dont Pilgrim et Jung sont les principaux protagonistes, qui non seulement se passe en 1912 mais commence le 17 avril, comme "813", jour d'une éclipse solaire unique dans le siècle pour les Parisiens.

J'en viens au mot Tauber, "colomb" pourrait-on dire, peu courant donc masculin de die Taube, "la colombe" (anglais dove). Ce sont probablement des évolutions étymologiques indépendantes qui ont conduit à l'adjectif taub, "sourd" (anglais deaf), qui se décline en taube et tauber, notamment.
SOURD est l'anagramme phonétique d'OURS.
Par ailleurs Tauber se scinde en Tau-Ber, Ber étant "ours" en yiddish, et tau la lettre grecque couramment nommée "croix de Saint-Antoine". Je suppose que Plantard se serait empressé d'utiliser ces correspondances s'il les avait connues, puisque le 17 janvier et la Saint-Antoine sont au coeur de son système. J'ai la curiosité de rouvrir ses Archives secrètes du Prieuré de Sion, pour y trouver le chapitre Saint Antoine l'Ermite (SAE vu dans le billet précédent avec le 4 avril de SIS, Isidore de Séville), où Plantard établit un parallèle entre le 17 janvier de St Antoine et le 17 juillet de St Timothée, au pôle opposé de l'année.
Je suis ébahi de retrouver Timothée, alors que je viens de parler plus haut du roman jungien de Timothy Findley, d'autant que le commentaire de Plantard fait une large place à "l'argent lunaire reflet de l'or du soleil". Selon l'arithmétique plantardienne, entre le 17 janvier et le 17 juillet viendrait le 17 avril, où commence le roman de Timothy avec la mort de Pilgrim à Londres et sa résurrection vers midi (où l'éclipse atténuée à Londres était à son maximum).
Selon Plantard, Timothée aurait disparu pendant 17 ans. Ses parents entendirent un jour une voix mystérieuse qui les porta à penser qu'un vagabond (pas loin d'un pèlerin, pilgrim) qu'ils avaient accueilli chez eux était Timothée. Rentrés chez eux il y trouvèrent leur fils mort. Curieuse survie pendant 17 ans, à laquelle j'ai été amené via le 25088 (4 fois 17 ans) de Tauber.

Je ne trouve pas trace de ce Timothée, alors que le saint du 17 juillet est Alexis, auquel est rapportée la même anecdote. La Légende dorée conte l'affaire bien plus clairement que Plantard. Alexis était le fils du noble et pieux Euphémien, à Rome au 4e siècle. Il passa la nuit de ses noces à instruire sa jeune femme dans la crainte de Dieu et le goût de la virginité, et le lendemain s'embarqua pour Edesse, en Syrie, où était conservée l'image du Christ miraculeusement gravée sur le linge de Ste Véronique.
Il y passa 17 ans à mendier à l'entrée de l'église, jusqu'à ce que la Vierge dans l'église demande qu'on fasse entrer ce mendiant, car Dieu reconnaissait la pureté de ses prières. L'humble Alexis estima alors qu'il ne méritait pas cette gloire, et reprit la mer. La providence le ramena à Rome, où il décida, pour n'être à charge de personne, de résider incognito dans la maison de son père, auquel il demanda d'être admis chez lui, "afin que, si quelqu'un des tiens se trouve à l'étranger, Dieu ait pareillement pitié de lui !" Euphémien se souvenant de son fils l'accueillit, et Alexis resta 17 ans chez lui. L'Esprit-Saint lui ayant annoncé que sa fin était proche, il consigna par écrit l'histoire de sa vie.
Le dimanche suivant, une voix miraculeuse se fit entendre durant la messe :"Cherchez dans la maison d'Euphémien l'homme de Dieu, afin qu'il prie pour Rome !" Les empereurs Arcade (un nom ursin...) et Honorius se rendirent chez Euphémien, y trouvèrent Alexis mort mais ne purent arracher le papier contant son secret de sa main, qui ne consentit à s'en séparer qu'à l'arrivée du pape Innocent...
Edifiante histoire... J'avoue n'avoir aucune idée de pourquoi Alexis est devenu Timothée pour Plantard, mais je constate que la simultanéité des 17, des noms Antoine et Alexis, de la légende de Ste Véronique est immédiatement évocatrice pour le lupinologue. Véronique retrouve en juin 1917, en l'an quatorze et trois, son père Antoine mort depuis 14 ans et son mari disparu Alexis, dans L'île aux 30 cercueils où elle est menée par un jeu de signes de piste en 17 étapes.
Les "chercheurs" ont remarqué que cet Antoine spécialiste des mégalithes habitait le Prieuré, et j'avais pour ma part pensé que la triple crucifixion préludant au supplice de Véronique évoquait le symbole du Triple Tau, correspondant au initiales TH de Templum Hierosolymae, Temple de Jérusalem synonyme de Prieuré de Sion.

J'ai développé ailleurs que ce roman de Leblanc, où Alexis entend tuer 30 personnes en suivant à la lettre un programme dicté par un poème absurde, me semblait avoir inspiré Dix petits Nègres, lequel a connu quantité de clones, livres ou films. Le hasard a voulu que je visse hier (9 mars où j'ai découvert la conjonction Antoine-Timothée chez Plantard) l'un de ces clones, Identity, où 11 personnes se trouvent réunies dans un motel où un tueur insaisissable les élimine l'une après l'autre, laissant sur le cadavre une clé avec un numéro de chambre, à partir de 10 dans l'ordre décroissant. ATTENTION SPOILER : sans tout dévoiler, le responsable des 10 meurtres se nomme Timothy.
Et c'est aujourd'hui 10 mars que j'ai eu la curiosité de consulter La Légende dorée, pour m'apercevoir que Plantard avait "confondu" Timothée et Alexis.

Je renonce à commenter la lecture T-Ours, qui m'entraînerait trop loin, alors que la piste ours-colombe est loin d'être close. Je rappelle que je me suis intéressé à cette piste à cause du nom hébreu de l'ours, dov, homonyme de la colombe anglaise, dove, sans connaître alors ni l'amour affiché de Plantard pour les plantigrades, ni sa plus secrète colombophilie.
La requête "Tauber" Colombe me fait découvrir parmi les 10 premiers résultats un article du rabbin Yanki Tauber, hébergé par un site Loubavitch de France domicilié à Bois-Colombes. Les Loubavitch ont adopté la doctrine 'HaBaD fondée par Rabbi Schneour-Zalman, représentée ensuite par son fils Dov-Ber ("ours" en hébreu et yiddish). Ce nom Dov-Ber est ensuite repris par plusieurs représentants 'HaBad.
Le rabbin Tauber semble être l'un des principaux responsables de ce site américain. Son article traduit à Bois-Colombes concerne Amalek, ce qui me rappelle la prodigieuse découverte vue ici, par le rabbin précurseur du code biblique dont le nom complet est Dov Weissmandl ou Ber Weissmandl :
Il existe une seule occurrence dans la Genèse de l'ELS de distance 12111 (nombre de lettres du livre d'Esther) des 4 lettres du nom Amalek, et cette ELS unit les 2 seules occurrences du nom Amalek dans ce livre.

Si j'ai relié plus haut la colombe, ou plutôt le "colomb" à Jung, et au commencement de sa carrière autonome libérée de la tutelle de Freud, c'est une ourse qui apparaît au crépuscule de sa vie, sur une pierre sculptée après la mort de sa femme.
Je soulignais ici que la mort d'Emma avait conduit Jung à une 5e étape de travaux pour sa "tour" de Bollingen, ses "tours" (ou T-ours) plutôt puisque la maison comptait déjà deux tours, dominées ensuite par la dernière élévation.
Jung avait besoin d'activité physique et artistique, ce dont cette pierre sculptée à 83 ans est un des derniers témoignages. Ursa movet molem, "L'ourse bouge la masse".
Vu la rotondité de la masse en question, je serais tenté d'écrire "l'OURSE meut les ROUES", en pensant à la lecture par Plantard du carré SATOR, devenu ARTOS tenet ROTAS, "l'ours maîtrise les cycles"...
Si la réduction du réel arktos grec, "ours",est plus que discutable, le mot artos existe en grec où il signifie "pain", d'où encore une étonnante logique à l'achat par Plantard d'une boulangerie à Colombes.
En revanche les noms "artus" et "arthur" sont bien issus du grec arktos, et je m'émerveille du rapprochement entre le numéro de la Mercédès du "colomb" Tauber, 25088 = 4 fois 6272, et la valeur 6272 du sonnet Vocalisations signé "Arthur Rimbaud" par Perec dans La Disparition, alors qu'un Tauber et une ursa apparaissent avant et après le pivot 4/4/44 dans la vie de Jung.

S'il ne peut y avoir de Mercédès dans La Disparition, roman écrit avec les seules 4 voyelles AIOU parmi les 5 voyelles rimbaldiennes, Perec concevra en 1972 un autre roman où la seule voyelle autorisée est E. Les Revenentes débute ainsi :
Telles des chèvres en détresse, sept Mercédès-Benz vertes, les fenêtres crêpées de reps grège, descendent lentement West End Street (...)

Mes investigations autour de Plantard-Cherisey m'ont conduit à lire Livre à vendre, paru en 1977, roman écrit à 4 mains par Dubillard et Cherisey, dont la première partie a été écrite par l'un des deux auteurs, la deuxième par l'autre. S'il ne faut peut-être pas accepter aveuglément cette affirmation, je reconnais mieux le style de Cherisey dans cette deuxième partie, où il est question de Jung.
Plusieurs chapitres de ce délire exubérant sont consacrés au grand-père du narrateur, inventeur obsédé par les pendules enfermé à Sainte-Anne à la suite de sa participation au premier concours Lépine.
Il passe ensuite entre les mains des représentants de la nouvelle psychanalyse, Adler, Jung qui "l'entoura de ce romantisme qui fait de lui le seul cas intéressant qu'on puisse relever dans les manuels de psychologie pour le baccalauréat", et Freud qui "le baptisa W (on se demande pourquoi.)"
Il échoue ensuite dans la clinique du professeur Cosbuc, en Moldavie roumaine, à Sfânta Slujbä (soit "sainte messe" en roumain), "où l'on accède par un treuil après avoir sonné de la bâtâturâ, espèce de cor..." (c'est bien un cor en roumain, mais un cor au pied !)
Quelques pages sont consacrées au Rapport Cosbuc, sur son patient W, entrecoupé de quelques notes personnelles, comme celle-ci lors de la 96e séance, seconde mention de Jung:
Retour du congrès neurologique de Zürich. Charmant accueil (...) Mort d'un martin-pêcheur dans le jardin de Jung.
En épilogue au rapport, on apprend que le grand-père W serait peut-être bien encore vivant aujourd'hui dans les Carpathes. Cosbuc lui-même a dû être interné, il a survécu aux deux guerres et est actuellement en traitement à Philadelphie.

Voilà. Je ne vois pas quoi en tirer, sinon que Jung a droit à deux mentions. Il existe un poète roumain nommé George Cosbuc, ayant plus probablement inspiré Cherisey que le Basileus de Cos cher à Jung (ici et on apprend que Cherisey nommait Plantard Basile).
L'association d'un George à un W me rappelle le W ou le souvenir d'enfance, de Perec, paru deux ans plus tôt en 1975.

Ce qui n'implique évidemment pas un quelconque rapport, mais me permet de conclure.