12.5.09

chasse à Chas

à D.G.

C'est le 8 mai que j'ai découvert l'association du jeu babylonien 70-11 à l'atbash par Mark Leuchter, et au livre d'Esther par JJ Glassner, ce qui m'a conduit au billet précédent, évoquant ma page de 2002 Baruq-Uqbar.
Utilisant au maximum les possibilités de Blogger, j'ai débuté ce précédent billet le 11 à 11:07 (se renversant en 70:11), sa date de publication indiquée quel qu'en soit l'achèvement effectif.
La veille, le dimanche 10, j'ai regardé Inspecteur Lewis sur FR3, qui remplace depuis quelques semaines Inspecteur Barnaby, dont l'épisode Les noces de sang, jouant sur les anagrammes, diffusé le 7 septembre dernier, a joué un rôle dans le cheminement qui m'a conduit à la découverte fondatrice de ce blog.
Voici qu'il s'agit dans cet épisode de Lewis, De l'autre côté du miroir, du meurtre d'une jeune femme commis avec un éclat d'un miroir persan brisé, et l'assassin a barbouillé avec le sang de la victime le mot UQBAR sur un papier laissé à côté d'elle.

Les enquêteurs déchiffrent d'abord UQBARA, jusqu'à ce qu'un érudit leur signale la nouvelle de Borges, Tlön Uqbar Orbis Tertius. Je n'en avais pas eu besoin, et avais aussitôt relié le modus operandi du meurtre à une fameuse citation de Borges, précisément issue de cette nouvelle :
Bioy Casarès se rappela alors qu'un des hérésiarques d'Uqbar avait déclaré que les miroirs et la copulation étaient abominables, parce qu'ils multipliaient le nombre des hommes.
Il ne sera cependant pas question dans l'épisode de cette citation, ni du miroir dans l'oeuvre de Borges.

La série Inspecteur Lewis est fondée sur un principe intéressant, non sans rapport avec la spécularité, car Lewis était dans la série Inspecteur Morse (1987-2000) l'adjoint et faire-valoir de Morse, enquêteur oxfordien extrêmement raffiné. Devenu inspecteur en chef, le toujours plébéien Lewis est assisté de l'intello Hathaway, qui lui est plus utile que lui-même ne l'était à Morse, mais c'est l'expérience de Lewis qui prime dans la résolution des énigmes.
La série Morse ne manquait pas de subtilités, ainsi son thème laissait entendre le nom MORSE en morse, et le compositeur Pheloung s'amusait à introduire dans la musique propre à chaque épisode le nom du coupable, toujours en morse... C'est le même Pheloung qui écrit la musique de Lewis...

Il pourrait y avoir des finesses d'un autre ordre dans cet épisode, dont le titre original est celui d'une oeuvre d'un autre Lewis (dont l'inspecteur ignore tout), The allegory of love, et le meurtre suivant est commis avec l'Epée de Vérité, l'épée inspiratrice de CS Lewis lors de l'écriture du Monde de Narnia, conservée dans le pub d'Oxford Eagle & Child qu'il fréquentait.
La victime prévue du premier meurtre au miroir était une certaine Alice, claire allusion à un autre célèbre écrivain oxfordien ayant "Lewis" chevillé au corps, Lewis Carroll... Le titre français de l'épisode offre ainsi une magnifique "traduction" accessible à un public connaissant certainement mieux De l'autre côté du miroir que The allegory of love.

Il y a deux acteurs connus parmi la cohorte des suspects, Art Malik et James Fox. Je savais que ce dernier avait joué dans un film réputé borgésien, Performance de Donald Cammell et Nicolas Roeg (1970), mais j'ignorais que l'image de Borges y apparaissait dans un miroir brisé.
J'ai essayé de regarder jadis ce film à la TV, et n'ai pu aller bien loin. Je ne peux donc guère en parler, remarquant tout de même qu'il s'agit d'un affrontement entre deux personnages incarnés par des acteurs aux noms prédestinés, surtout en Angleterre où la chasse au renard est une institution, Jagger ("chasseur") et Fox ("renard"). Les noms des personnages, Chas pour Fox et Turner pour Jagger, semblent renverser leurs rôles, comme leurs présentations publicitaires :


J'abandonne Performance pour revenir au facteur déclenchant, UQBAR survenu 2 jours après que des circonstances tout à fait indépendantes m'aient rappelé ma page Uqbar-Baruq. J'ai remarqué ce commentaire sur l'épisode, dans le journal The Mirror, précisément :
The mystery started with a Bosnian escort girl murdered with a 16th century Persian mirror. You don't get that in The Bill.
Soit, grosso modo : Une bosniaque assassinée avec un miroir persan Uqbar, on ne voit pas ça dans The Bill. Après investigation, The Bill est une série policière anglaise très populaire, et j'ai pris cette peine parce que la transformation de Uqbar en Baruq apparaît dans un BILL, précisément, dans le Bulletin de l'Institut de Linguistique de Louvain, imaginé par Perec dans La vie mode d'emploi.
Curieusement, l'article Uqbar de Wikipédia indique que c'est dans la nouvelle de Borges qu'apparaît ce BILL et la rubrique de Boris Baruq Nolt. Sans tenter de comprendre comment cette aberration s'est produite (les infos du net et d'ailleurs doivent toujours être recoupées), je trouve amusant de la voir concerner le mot baruq, possible autre translitération de baruk, "béni" en hébreu, que Perec prétendait hors de toute réalité être équivalent à son nom :
Beretz, comme Baruk ou Barek, est forgé sur la même racine que Peretz — en arabe, sinon en hébreu, B et P sont une seule et même lettre. (W ou le souvenir d'enfance)
Le titre original, The allegory of love, l'allégorie de l'amour, se révèle être précisément le mot Uqbar. Il est encore amusant que, narcissiquement peut-être, l'allégorie de l'amour selon Perec aurait pu être Stella Baruk, qu'il a courtisée quelque temps avant d'être gentiment éconduit par la mathématicienne (une Stella-étoile-astre-esther dans la constellation Uqbar-Baruq !...)
La seconde victime, l'écrivain Dorian Crane, a pour mot de passe de son ordinateur UQBAR-82, le mot clé et son année de naissance... qui est aussi celle de la mort de Perec.
Il faut passer tôt ou tard
Il faut passer en Uqbar...

Contrairement à ce qui se passe dans nos séries policières françaises, où la guest star est quasi systématiquement l'assassin recherché, le coupable n'est ici ni Art Malik, ni James Fox.
Il sera beaucoup question dans le prochain billet des ELS, Equidistant Letters Sequences, Séquences de Lettres Equidistantes dans un texte donné. J'ignore si c'est voulu, mais ce sigle ELS est soi-même une ELS dans l'alphabet, de distance 7 (ces lettres ont les rangs 5-12-19) et je remarque que FOX est l'une des rares ELS de ce type (lettres de rangs 6-15-24, distance 9).
L'écriture de l'alphabet en rangées de 8 lettres montre un joli cousinage de ELS et FOX :Tiens, au sommet de cette ziggourat alphabétique il y a EF = 11 (5+6), et aux étages inférieurs LOSX = 70, rappelant le jeu babylonien 11-70
Enfin fox, c'est "renard", et mes enquêtes sur la spécularité m'ont mené, à partir d'une coïncidence entre les oeuvres de Darren Aronofsky et de Bernard Werber, à remarquer que le prénom du second était à l'initiale près l'anagramme du prénom du premier, lui-même anagramme de "renard".
Ceci m'a conduit à intituler du palindrome drenarBranerd la page concernée (et non dranerBrenard, parce que l'arbre était un lien entre Darren et Bernard).

Note du 31/5 : EB, lecteur de ce billet, m'a signalé que le nom du principal réalisateur de Performance, ROEG, avait été employé dans le Grand Palindrome de Perec, dans l'édition originale du moins, où le corps du texte est inséré entre les en-tête et signature :
9691
EDNA D'NILU
O. MU. ACERE. PSEG ROEG
(...)
Georges Perec,
Au Moulin d'Andé, 1969
On trouve le Grand Palindrome à plusieurs noeuds de la toile, le plus séduisant étant assurément
http://graner.net/nicolas/salocin/ten.renarg//:ptth
adresse palindrome d'un presque "draner-renard", prénommé Nicolas comme Roeg.
Le nom du co-réalisateur, Cammel, m'avait évoqué le "souvenir d'enfance" de Perec, qui aurait été un gammeth ou gammel, mais le graphisme de la lettre hébraïque gimmel ne correspond en rien au prétendu souvenir de Perec (ci-dessous à droite). Les spécialistes se sont avisés que ce dessin était fort proche du G qu’il utilisait comme signature, mais vu dans un miroir, latéralement :


Quelques vidéos, avec toutes en commun la présence de James Fox (qui n'est autre que le père de Laurence Fox, l'assistant de Lewis) sur l'image de présentation. D'abord la bande annonce de Performance :


Un extrait, débutant par la splendide musique de Ry Cooder, qui a peut-être donné des idées à Wim Wenders, et s'achevant sur une lecture de Borges par Mick Jagger :



Une partie d'un commentaire sur Performance, montrant notamment la séquence où apparaît l'image de Borges dans le miroir brisé :


Les blues de Performance m'ont rappelé qu'un autre grand rôle de James Fox avait été celui du lord dans The Servant, de Losey (1963), autre grande opposition entre deux hommes, dont les rôles de maître et valet s'intervertissent... Ce que je me rappelle le plus est la présence de Davey Graham, disparu en décembre dernier. Ce billet est dédié à sa mémoire.

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