8.1.09

d'un marteau l'autre

Dans la réalité, ou tout au moins dans le récit subjectif qu'a fait Jung de sa maladie de 44, sa situation d'alité s'est trouvée échangée le 4/4/44 avec celle du médecin qui l'avait sauvé, le docteur Theodor Haemmerli qui mourrait quelques semaines plus tard.
Haemmer(li), ou Hämmer(li), signifie "(petit) marteau".
Dans la fiction, Ellery Queen a écrit en 1964 Et le huitième jour..., se passant du 2 au 9 avril 44, laissant à ses lecteurs le soin de découvrir qu'il s'agissait cette année-là de la semaine sainte, et que son polar est une étrange transposition de la Passion dans une communauté essénienne ayant mystérieusement traversé pays et siècles pour venir se fixer dans le désert californien.
Le 5/4/44, l'un des membres du conseil des Douze de cette communauté de Quenan est assassiné, d'un coup de marteau, par le jeune Successeur désigné du Maître de la communauté, vieillard sans âge.
Le Maître, calqué partie sur le Maître de Justice essénien, partie sur Jésus, estime nécessaire d'endosser le crime du Successeur, pour sauver Quenan, et il maquille la scène du crime à cet effet, notamment en substituant le marteau du Successeur par un autre, ce qui constituera une preuve décisive lors de son procès par les siens le lendemain, jeudi saint. Selon la loi de Quenan, il est mis à mort le jour suivant, vendredi saint. Ainsi, le lendemain du 4/4/44, un échange de marteaux a conduit à un échange de vies.

Je suis confus de ne pas m'être souvenu aussitôt de ce détail, dès que j'ai appris le nom du docteur Haemmerli, que seuls les proches de Jung pouvaient connaître en 1964, Jung l'ayant nommé "Doktor H." dans Ma vie... ("mon docteur" dans la traduction française), alors que ce marteau était au centre de la couverture de l'édition où j'ai découvert le roman.
Ce blog semble condamné à hoqueter, au gré de mes dessillements et découvertes. J'espère qu'il sera possible un jour d'en présenter une version plus logique, épurée de toutes les redites que nécessite cette progression par à-coups.
C'est ainsi que je me suis avisé d'une possibilité de relier les deux volets de Missions spéciales, le 5e tome des aventures de Fandorine, le héros de Boris Akounine. Je ne m'étais intéressé qu'au second, Le Décorateur, traque pendant la semaine sainte de 1889 de Jack l'Eventreur revenu dans sa Russie natale après ses exploits londoniens de 1888.
Or Jack l'Eventreur est en vo Jack the Ripper, tandis que la première mission spéciale de Fandorine est Le valet de pique, en anglais Jack of spades, Jack des épées...
J'ai été aidé dans ce rapprochement par les deux dernières enquêtes de Fandorine parues en France, qui se passent en même temps en 1900, créant selon l'auteur un effet stéréo inédit.
Le valet de pique est en 9 chapitres comme Le Décorateur, ce qui porte donc le volume à 18 chapitres, alors que j'avais été alerté par les 18 meurtres attribués par Fandorine à Sotski, alias Jack, alias Pakho, en cette nuit pascale du 8 au 9 avril 1889 dans le calendrier julien, du 20 au 21 avril dans le calendrier grégorien, quelques heures après la naissance de Hitler. 18 est un signe de reconnaissance pour les néo-nazis, à lire 1-8, rangs des initiales A-H de leur Führer (mais bien sûr l'utilisation de ce codage ne leur est pas réservée).
J'ai relu ce 5e volume des aventures de Fandorine avec plus de facilité, désormais familiarisé avec les personnages et les noms russes, ce qui m'a permis de voir d'autres choses:
- Chaque chapitre du Décorateur s'achève par une section en italiques laissant la parole au tueur, hormis le dernier, et pour cause puisque Fandorine y brûle la cervelle de Pakho. Ceci induit donc une division des chapitres 8-1, ou H-A, remarquable puisque la dernière intervention en italiques de Pakho, la 8e, se situe le soir du 8 avril julien, ou du 20 avril grégorien où est né Hitler (à 18h30 heure d'Autriche).
- Pakho prend cependant la parole dans le dernier chapitre, le 9 avril, pour une longue tirade de 4 pages, en caractères romains. Il y clame la sainteté de sa mission, ce qui n'éveille pas la clémence de ses juges.
- Pakho ex-Jack s'exprime parfois en anglais dans les sections en italiques, employant à plusieurs reprises l'expression Hide and Seek, le jeu "cache-cache", littéralement "se cacher et chercher" : il se cache de la police, tout en cherchant ses proies, ses "soeurs" dont il entend racheter la dépravation en les "décorant".
Il se dit donc le "frère" des prostituées, et ce mot m'a amené à découvrir cette anagramme anglo-italienne :
ADOLF HITLER = HID FRATELLO
hid : "cachait" (prétérit de to hide)
fratello : "frère" en italien

AH cachait "frère"... S'il me semble périlleux d'envisager l'idée chez Akounine (mais pourquoi pas ?), je l'ai déjà suggérée pour deux auteurs, Queen et George Steiner, et je découvre en écrivant ce billet qu'un autre auteur juif, Thomas Mann, a écrit en 1938 Bruder Hitler, "Frère Hitler".
C'est qu'en hébreu les deux lettres alef-het aïeules de nos A-H forment précisément ensemble le mot "frère". En 1975 George Steiner (ici sa photo par Irmeli Jung...) a écrit un court roman, Le transport de A.H., où il imagine des agents israéliens retrouver Hitler bien vivant dans la jungle sud-américaine.
Des problèmes surgissent lors du retour vers la civilisation du vieillard, si bien que ses gardiens improvisent un procès dans la jungle, où Hitler décide d'assurer lui-même sa défense, comme Jack l'Eventreur dans la nuit pascale de 1889, juste avant son exécution, quelques heures après la naissance de Hitler. Steiner fait dire à Hitler que ses accusateurs devraient plutôt l'honorer, car il a été l'instrument de Dieu permettant la réalisation de sa promesse, le retour des Juifs en Israël.
En laissant de côté la polémique enclenchée par ces propos, les commentaires de Steiner montrent que son texte ne peut être pleinement compris que par les hébraïsants (l'indien "Teku", qui a le dernier mot après Hitler, "Proven", exprime par ce dernier mot le contraire du talmudique teku, signifant qu'une discussion reste non tranchée). Aussi il me semble envisageable que Steiner ait voulu exprimer par ces initiales AH que celui qui a pu incarner le mal absolu au siècle dernier était malgré tout un homme, notre frère, et qu'on ne peut évacuer la part de "bête" qu'il y a en tout homme, "l'ombre" dans la terminologie jungienne.
A noter la présence dans le titre original de "Cristobal", un nom qu'on peut interpréter comme fusionnant Christ (Messie) et Bal ou Bel, le dieu de Babel son antithèse chez les prophètes des deux testaments, ce qui pourrait procéder d'une intention similaire.

Cette intention me semble plus immédiate chez Queen, où le mal est censé ne plus exister à Quenan, depuis que le Maître, il y a bien longtemps, en a banni le tisserand Bélial, coupable d'un menu larcin (Bélial figurait le démon chez les Esséniens).
Le refus du monde extérieur a donc conduit les quenanites à croire retrouver leur livre saint perdu Mk'n ou Mk'h dans le Mein Kampf de Hitler. L'apostrophe est soulignée sans être explicitée, je présume parce que l'apostrophe est le signe généralement utilisé pour translitérer la lettre alef, et donc pour forcer la lecture hébraïque des initiales AH, formant donc le mot "frère".
C'est notamment le cas dans le livre qui me semble avoir été la source essentielle de Queen (Dannay), Les manuscrits de la mer Morte, de Millar Burrows (1955). Il a pu y trouver l'idée génératrice de son livre saint Mk'n ou Mk'h, car il y est question du livre sacré pour les Esséniens HGW, dont l'existence n'est connue que par une allusion dans le Document de Damas, titre qui est probablement un acronyme, indiqué pouvoir aussi bien être HGY, les lettres waw et yod se ressemblant énormément.
J'imaginais dans une étude publiée il y a 12 ans que le bibliophile Dannay aurait pu lire dans l'acronyme HGW H(itler) Gesammelte Werke, "Oeuvres complètes de Hitler". Très curieusement, Google ne donne aujourd'hui (10/1) qu'une réponse à la requête "hitler gesammelte werke", mots apparaissant dans cette référence d'une citation : Thomas Mann, "Bruder Hitler", Gesammelte Werke, (...) C'est le Frère Hitler mentionné plus haut, et c'est la 4e citation d'un article polémique de Jean Gimpel (dont la 1e citation est issue de Mein Kampf), Contre l'art et les artistes (1968).

Je dois en partie ce qui suit à Ariaga, qui a publié le 4/1 un billet sur Jacques Van Herp, initiateur d'un nouveau dessillement.
Une des curiosités du Transport de A.H. est que les agents en charge de Hitler communiquent avec leurs supérieurs en utilisant le code "atbash", code effectivement utilisé dans le livre de Jérémie, au chapitre 51, versets 1 et 41, où sont codés les synonymes "Chaldée" et "Babel" (voir les notes de toute Bible). Il y a dans cet oracle contre Babel un passage d'une rare violence incantatoire, versets 20-23, où Dieu, JHVH, compare la guerrière Babel à un marteau utilisé un temps à Ses fins, dont Il entend maintenant se débarrasser.
Ce marteau (ou "pilon" selon les traductions, mais cette page donne "marteau" pour les 4 traductions françaises citées, et Hammer pour l'allemand) est en hébreu mappets, mot dont les 3 lettres se transforment selon l'atbash en JVH, yod-waw-he, les lettres composant le nom imprononçable de Dieu, JHVH, dont la sacralité s'étend à ses lettres, si bien que les nombres 15 et 16 ne s'expriment pas dans le système numéral hébreu par les formes immédiates JH et JV, mais par d'autres combinaisons de lettres-nombres.
Les initiales JVH de Jacques Van Herp m'ont rappelé dans un premier temps cette curiosité, le marteau-JVH désignant "Babel" ou la "Chaldée" dans un oracle où ces mots sont codés en atbash par JHVH lui-même. Dans un second temps, il m'est venu que, dans L'adversaire paru juste avant Et le 8e jour, le meurtrier connu comme Y faisait exécuter ses crimes, marqués par des envois préalables de messages J-H-W, par un pion docile entre ses mains, John Henry Walt, désigné comme coupable par ses initiales JHW (selon les translitérations, le Tétragramme est aussi bien JHWH que JHVH, YHWH, ou d'autres possibilités).
Queen a d'ailleurs joué avec la diversités des translitérations, puisque, dans ce roman peu banal, le coupable est effectivement le dieu JHWH qui signe aussi de l'initiale Y de Yahweh. Plus subtilement, dans le mandala formé par York Square, les maisons des cousins York se déduisent par symétrie de celle du survivant, qui a la forme d'un yod hébraïque.

L'important pour l'heure est que, juste avant Le 8e jour, Queen a explicitement suggéré la transposition en hébreu des initiales d'un individu. JHWH assassin ? Hitler frère ? je ne me hasarderai pas à interpréter plus avant, restant néanmoins certain que Dannay n'était pas un crypto-nazi.

A propos de Haemmerli, j'avais proposé, Zeus étant le dieu du "ciel", Himmel en allemand, mari de Héra, cette anagramme croisée :
HIMMEL
E
R
A
en ayant alors oublié que Jung citait précisément Zeus (étymologie sanskrit Dyaus, "ciel") et Héra dans le récit de ses visions de 44 :
La vallée se terminait en un amphithéâtre antique (...) Et là, dans ce théâtre, se déroulait l'hieros gamos. Des danseurs et des danseuses apparurent et, sur une couche parée de fleurs, Zeus-père de l'univers et Hera consommaient l'hieros gamos, tel qu'il est décrit dans L'Iliade.
Jung cite juste avant le mariage sacré de Tiferet et Malkhout, que la mystique juive homologue aux deux dernières lettres de YHWH.

Et le marteau dans tout ça ? Je n'imagine guère que Queen ait eu à l'esprit l'oracle de Jérémie et la forme atbash JWH ou JVH du marteau en hébreu, mais ceci a pour moi un écho avec Jacques Van Herp, JVH, auquel j'avais écrit suite à la réédition dans la collection Grama qu'il dirigeait de La fin d'Illa, roman remarquablement prémonitoire où José Moselli décrivait en 1925 une société tyrannique et génocidaire dirigée par un certain Rair (le Führer ?), assisté de son chef de la police Limm, ce qui ressemble plus nettement au nom du futur second personnage de l'état nazi, le Reichsführer Himmler, chef de toutes les polices. Ceci était souligné en postface par JVH, auquel j'avais envoyé mon étude sur Queen mentonnée plus haut.
Himmler, fondu d'ésotérisme, avalisait des projets des plus délirants, parmi lesquels des recherches sur le Marteau de Thor, avec lequel le dieu nordique équivalent à Zeus déclenchait la foudre, espérant doter ainsi ses SS d'une arme invincible...
Le marteau faisait partie des emblèmes nazis, partie pour sa base ouvrière, partie pour sa symbolique païenne. Ci-contre l'épée et le marteau dans les ailes de l'aigle germanique sur une affiche des Jeunesses Hitlériennes.
Il est troublant que les policiers de Limm, imaginé alors que Himmler était encore un jeune éleveur de poulets (!), se servent d'armes électriques foudroyant leurs victimes :
L'infortuné touché par le bâton de verre était instantanément traversé par un courant de plusieurs milliers de volts qui le foudroyait sur place.
Et nos gestapistes d'aujourd'hui ont le Taser...

Le titre de ce message est inspiré par le fait que les mots "un" et "autre" sont "cousins" en hébreu, sinon "frères", puisqu'ils s'y disent ehad et aher, AHD et AHR débutant par les deux lettres AH formant le mot "frère".

Thru the mad mystic hammering of the wild ripping hail
The sky cracked its poems in naked wonder
That the clinging of church bells blew far into the breeze
Leaving only bells of lightning and its thunder


J'ai cité dans un billet précédent Bells of Rhymney, de Pete Seeger. Chimes of freedom, de Bob Dylan, me semble aujourd'hui approprié :

Il y en a aussi une version avec Youssou N'Dour, l'auteur de 4-4-44.

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