12.12.08

4/4/44

Je voudrais revenir sur la découverte fondatrice de ce blog, à la lumière de nouvelles informations, trouvées notamment grâce à la consultation de Jung, sa vie et son oeuvre (de Barbara Hannah) et de la correspondance de Jung.
C'est donc le 11 février 44 que Jung se casse le péroné en tombant dans la neige. Son médecin juge que cet homme de 68 ans doit être hospitalisé, mais l'alitement forcé ne convient guère au toujours très actif Jung qui fait un infarctus une dizaine de jours plus tard.
Il doit probablement son salut à la présence dans la clinique du plus brillant cardiologue suisse, Theodor Haemmerli-Schindler. Alors que Jung est entre la vie et la mort, il fait un genre de NDE, se voyant planer dans l'espace et regarder de loin la terre, pas déçu de l'abandonner (il faut en lire le récit détaillé sur plusieurs pages dans Ma Vie).
Sur le point d'accéder aux suprêmes mystères, il rencontre son médecin dans sa forme première de "Basileus de Cos" (roi de Cos où naquit Hippocrate) qui lui transmet que la terre déplore son départ, et qu'il doit y retourner.
Alors commence une lente guérison, au cours de laquelle Jung s'inquiète du fait qu'il a rencontré la forme première de son médecin, ce qui signifierait qu'il est sur le point de mourir. Il essaie de l'avertir, mais le "docteur H" ne comprend pas.
Jung imagine que c'est une sorte d'échange, et que le docteur doit mourir à sa place :
Et en effet je fus son dernier malade. Le 4 avril 1944 - je sais encore exactement la date - je fus autorisé pour la première fois à m'asseoir sur le bord de mon lit et ce même jour, il se coucha pour ne plus se relever. Peu après, il mourut de septicémie.

Il existe une BD, Introducing Jung, où Maggie Hyde et Michael McGuinness présentent la vie et l'oeuvre de Jung, sans y oublier l'épisode de 44. GoogleBooks permet par chance d'accéder parmi peu de pages à l'épisode complet, dans l'édition espagnole de la BD, qu'on pourra consulter en cliquant sur ce dernier lien.
J'en extrais cette page particulièrement remarquable (cliquer sur l'image en appuyant simultanément sur Shift/Maj pour l'avoir en grand format dans une autre fenêtre), où on voit Jung sur son lit, sa femme Emma à son chevet, et le docteur Haemmerli affichant sa sérénité devant les hallucinations de son malade.
- Bien que ce ne soit pas explicite, la forme 4/4/44 répétée dans la page montre que les auteurs sont conscients de la particularité de cette date.
- La page montre 4 vignettes de même format, formant un rectangle presque carré, un mandala, se référant tous à la situation avant la date fatidique, et un 5e dessin montrant Jung se dressant hors de son lit le 4/4/44, lui faisant dire :
Ce jour (le 4/4/44), le docteur H prenait le lit pour ne plus se relever. Il mourrait peu de temps après, de septicémie.
- Cette page est foliotée 104 dans l'édition espagnole, soit un nombre comportant les chiffres 1 et 4.
Ceci m'a donné envie de réaliser ce petit montage où Jung redressé apparaît au centre des 4 autres vignettes, illustrant les 6272 jours vécus après ce 4/4/44, alors qu'il avait précédemment vécu 4x6272 jours, comme l'éclosion d'une chambre au centre de la maison de Bollingen, 5e étape d'une construction qui représentait Jung lui-même (sujet du prochain billet).

Barbara Hannah signale de multiples synchronicités dans l'entourage de Jung, lors de sa maladie de 44. Elle détaille un extraordinaire cas que j'invite à lire ou relire dans son livre.
Elle indique par ailleurs que Jung a pu quitter la clinique début juillet 44, or j'ai appris ici que Theodor Haemmerli est mort le 30 juin 44, ce qui peut suggérer que pendant ce second trimestre 44 les états de Jung et Haemmerli ont évolué en parfaite complémentarité. Un brin d'audace permettrait d'imaginer qu'à l'instant même où Theodor expirait Carl Gustav se voyait délivrer son bon de sortie...
S'estimant d'ailleurs responsable de la mort du médecin, Jung a enquêté et appris que ses proches avaient jugé Haemmerli en piètre santé avant qu'il eût affaire à ce patient particulier, ce qui a un peu rasséréné Jung.

La même page m'apprend que Theodor Haemmerli a été diplômé de l'université de Zurich le 26 juillet 1907, soit le jour du 32e anniversaire de Jung. Je parlerai dans un prochain billet de la coïncidence survenue à l'occasion de son 80e anniversaire avec Armin Haemmerli, frère de Theodor.

Selon Barbara Hannah :
Jung s'éteignit exactement à l'heure juste et sa mort fut un événement naturel (...)
Elle entend par là que la mort de Jung était bien plus acceptable en 61 qu'en 44, sans, je pense, avoir su que l'exceptionnel équilibre quintessentiel autour du 4/4/44 était subordonné au décès exactement le 6/6/61, sinon exactement à 16 h (quatre heures moins le quart de l'après-midi, précise-t-elle).

Je voudrais encore commenter un détail linguistique associé à la dernière image de la page "4/4/44" :
Il est fascinant que le verbe incorporar de l'expression incorporarse en su cama, "se redresser dans son lit", signifie également "s'incorporer". Un peu d'audace permet encore d'imaginer que c'est ce 4/4/44 que la force vitale hésitant entre les deux hommes a choisi le corps de Jung et abandonné celui de Haemmerli.
Ne disposant que d'un petit lexique espagnol, j'ai consulté le Wiktionnaire, mais ce formidable outil a encore de vastes lacunes, notamment pour l'espagnol. Ainsi il ne connaît que le portugais incorporar-se, dont le sens semble quelque peu différent de l'homonyme espagnol, et dont il est indiqué le synonyme aderir.
Tout jungien qui se respecte connaît la célèbre formule au frontispice de la maison de Jung à Küsnacht,
VOCATVS ATQVE NON VOCATVS DEVS ADERIT
"Appelé ou non, Dieu sera présent"
C'est évidemment ce verbe latin qui est à l'origine du portugais aderir. Il m'a semblé devoir l'ajouter au Wiktionnaire, et j'ai constaté ensuite que, sans calcul, je l'avais fait ce 14, à 14:41.

Aucun commentaire: